Hôpital Nord by Jean-Pierre Andrevon & Philippe Cousin

Auteur:Jean-Pierre Andrevon & Philippe Cousin [Andrevon, Jean-Pierre]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Nouvelles, SF
ISBN: 2.207.30373.X
Éditeur: Denoël
Publié: 1984-01-01T16:00:00+00:00

8.

Nuit de garde

Le jeune homme se sentit emporté par la foule qui se précipitait vers les trois voitures arrêtées dans l’étroite ruelle que le soleil vertical de midi poudrait d’une lumière crue. Il voulut d’abord résister, puis il comprit que le mouvement populaire qui le poussait en avant servait au contraire son but. Il jeta un coup d’œil derrière lui. Trifko, son chapeau de feutre enfoncé sur le crâne, suivait à moins de deux mètres, entraîné lui aussi par la vague gesticulante. Tout le monde criait, mais le jeune homme n’arrivait pas à faire la part entre les cris d’excitation, les cris de joie, les cris de haine. « Jivio ! Jivio ! » Quelques policiers s’agitaient autour des véhicules immobilisés, mais ils n’avaient même pas sorti le sabre du fourreau. Le jeune homme voyait les tuniques bleu foncé apparaître et disparaître derrière la muraille mouvante des dos colorés. Sa main droite s’enfonça dans la poche de sa veste, distendue par le poids du browning. Sa paume se referma sur la crosse en noyer, son index chercha et trouva la queue de détente, son pouce s’encocha sur le dessus cranté du chien, prêt à le relever.

Il reçut une bourrade dans le bas des reins, quelque chose de dur avait heurté ses vertèbres, il cria de douleur et d’agacement. La foule capricieuse venait de s’ouvrir devant lui, dans un de ces mouvements imprévisibles qui en régissent le flux et le reflux. La stupéfaction maintint grande ouverte la bouche du jeune homme. Il était à moins de cinq pas de la seconde voiture. À l’arrière de la limousine découverte, un grand et gros personnage vêtu d’une tunique bleu clair, coiffé d’un shako à plumes et au visage barré d’une épaisse moustache noire, s’était redressé, l’air à la fois courroucé et hautain. C’était l’homme qu’il avait pour mission de tuer – ou plutôt, d’exécuter.

Leurs regards se croisèrent. Le jeune homme sortit son revolver. Dans la hâte du geste, la mire du canon accrocha la doublure de sa poche, qui se déchira. Le jeune homme tendit le bras vers sa cible. Le grand homme en costume d’officier impérial le regardait toujours. Sa bouche s’ouvrait lentement pour former une mimique d’étonnement. Le pouce du jeune homme fit basculer le chien en arrière. Le temps semblait s’être curieusement ralenti. L’air était devenu gélatineux, même les cris de la foule étaient assourdis. Le jeune homme ne les entendait plus que comme une rumeur lourde et confuse, qui allait vers le grave. Lentement, lentement, la bouche de l’officier continuait de s’ouvrir sous le crin de la moustache. Lentement, lentement, une femme brune en robe rose et en chapeau à voilette se leva, masquant à demi de son corps celui de l’homme à abattre. L’index du tueur pressa à fond la queue de détente, le chien se rabattit d’un coup sec, perforant l’amorce de fulminate de mercure. L’explosion de la cartouche fit aux oreilles de l’assassin un bruit assourdissant. La scène était devenue floue, les silhouettes de l’homme et de la femme debout dans la voiture décapotée ondulaient, miroitaient, se déformaient.

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