Grandeur et misères d'un employé de bureau by Jérôme Peignot & C. Rouvère

Grandeur et misères d'un employé de bureau by Jérôme Peignot & C. Rouvère

Auteur:Jérôme Peignot & C. Rouvère [Peignot, Jérôme & Rouvère, C.]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard (réédition numérique FeniXX)
Publié: 1965-01-02T00:00:00+00:00


Je le clouai du regard, mais il fit mine de ne pas s’en apercevoir. « Mais oui, c’est très simple, me dis-je, pour dissimuler son salaire et jouer les grands et les généreux auprès des employés du service qu’il dirige, il a décidé qu’il assisterait à toutes les réunions du personnel. » Lors d’une confrontation précédente où nous nous battions pour l’obtention de la caisse complémentaire, publiquement j’avais mis le doigt sur la démagogie dont il faisait preuve. « Non seulement il a eu le front de revenir, pensai-je, mais encore de prendre la parole. Mais j’y suis : pour lui, le bourgeois Borcat délégué du personnel, c’est de tout repos. Je n’en ferais pas plus qu’un autre et rien d’essentiel ne changerait. »

Dans les grands moments de mon existence, j’ai toujours l’impression de n’agir qu’à la remorque de mon double, de ce personnage de chiffon que je ne contrôle qu’à moitié. Dans une fulgurante illumination, je le vois se débattre devant moi ; d’un geste désespéré, se jeter dans l’action. Il me fascine, m’entraîne ; une seconde de folie et je m’identifie à lui. Il est, à la fois, et mon fanal et moi-même. Ainsi, sans me lever, puisqu’il s’agissait moins de me faire un honneur que de se débarrasser sur moi d’une corvée, je répondis que je voulais bien, que je ne connaissais rien à ces matières, mais que, pour ce qui était d’avoir un esprit revendicatif, on pouvait compter sur moi.

Plus que je ne la vis, je sentis Mme Romy, le chef du personnel, qui se terrait dans son coin, se ramassait. Bien que nous n’eussions jamais eu beaucoup l’occasion de nous rencontrer et que nous ne nous connussions guère qu’à distance, par les nerfs pour ainsi dire, nous ne nous aimions pas. Je ne m’étais pas privé de lui dire que la politique de la maison consistait à « diviser pour régner ». Elle n’ignorait pas que mon programme viserait à l’obtention d’une échelle de salaires. Je ne la trouvais pas laide, au contraire. Elle était grande et bien en chair, ce qui n’était pas pour me déplaire. Dans les premiers temps, au Journal, les choses n’allaient pas si mal entre nous. Un jour, elle émit même une plaisanterie sur ma versatilité, ce qui dénotait une certaine bienveillance à mon endroit.

Mais, très vite, tout s’était compliqué. Je me souvenais d’un cadeau d’entreprise ; une montre à laquelle mes années de présence me donnaient droit. Je n’avais jamais été le chercher. J’aurais voulu lui envoyer sa pendule à la figure et, dans le même instant, lui tenais rigueur de ne pas me l’avoir donnée.

Les femmes allemandes sont des gendarmes. Mme Romy avait beau ne pas être allemande et être vêtue avec toujours de plus en plus de recherche, en dépit de ses lunettes ouvragées, je ne parvenais pas à ne pas me la représenter sous les traits d’une « souris grise » en chef, à la jupe sans forme et au calot posé sur la tête, exactement dans l’angle qui convenait.



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