Gargouille by Gudule

Auteur:Gudule [Gudule]
La langue: eng
Format: epub
Tags: CONTEMPORAINS, Fantastique
Éditeur: Bragelonne
Publié: 2011-08-16T22:27:59+00:00

Leur émotion est telle qu’elles n’échangent pas un mot, à la fois assaillies par une foule de souvenirs et agressées par les odieuses déprédations du temps.

Premier constat : le parc jadis agencé avec goût n’est plus qu’une jungle échevelée. La végétation, poulpe tentaculaire, a pris possession des sentiers, massifs et parterres, qu’elle a digérés. Les arbres, autrefois florissants, ne dressent plus vers le ciel que des carcasses tourmentées, drapées de lierres pulvérulents. Champignons, moisissures, lichens forment un tapis malsain, aux allures marécageuses, où le pied s’enfonce avec répugnance.

— Quel gâchis ! s’indigne Claire, prise à la gorge.

— Ça ne ressemble plus à rien !

Martine hausse ses grasses épaules :

— Et nous, les filles, franchement, vous trouvez qu’on ressemble encore à quelque chose ?

Gigi déteste les états d’âme. Elle frappe dans ses mains :

— Allons allons, pas de morosité ! Nous n’allons pas laisser quelques mauvaises herbes nous saper le moral, tout de même !

Elle attrape Odette par un bras, Anne par l’autre, et les entraîne vers la chapelle, à demi dissimulée par la prolixe verdure.

— J’avais oublié quelle merveille c’était ! s’exclame Lou, que sa profession d’antiquaire rend hypersensible aux belles architectures.

Annexée au cloître dont elle met en valeur la grande sobriété, la bâtisse déploie ses dentelles de pierre, ses tourelles, son clocher, ses arcades romanes.

— Les artisans du Moyen ge ne volaient pas leurs clients ! constate Odette, pragmatique.

— D’autant qu’ils étaient motivés par une foi morbide, ajoute Anne. C’est ce qui fait la force de l’art religieux.

— À propos de morbide…

Du doigt, Martine désigne la gouttière que supporte un diablotin sculpté, mi-humain mi-animal. Sa bouche mafflue bâille sur le tuyau de cuivre qui lui sert d’amygdales. C’est par là que s’écoulent les eaux de pluie. La fonction de cette caricature étant de vomir, chaque ondée lui rend vie. Le geyser qu’elle projette depuis bientôt cinq siècles a creusé à ses pieds un cratère aussi profond qu’une tombe.

— Cette gargouille m’a toujours fait frémir, dit Anne.

— Moi, elle me rappelle quelqu’un ! lui glisse Maureen à l’oreille.

— J’y pensais justement.

— Nous lui en avons fait voir des vertes et des pas mûres, à cette pauvre gosse ! soupire Claire. Quelles chipies nous étions !

Denise pose Trésor par terre. Le pékinois gambade un instant autour du groupe, lève la patte, éjecte trois gouttes, puis revient sur ses pas. Ses coussinets fragiles, accoutumés aux moquettes, tapis et édredons, supportent mal l’agression végétale.

— Cet âge est sans pitié ! conclut Denise, reprenant l’animal.

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