Étranges et Familiers by Richter Anne;

Étranges et Familiers by Richter Anne;

Auteur:Richter, Anne;
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Avant-Propos
Publié: 2018-03-04T16:00:00+00:00


ŒUVRE BLANCHE, ŒUVRE NOIRE

Un fait est certain : il y a, dès cette époque, chez Miłosz, ce que j’appellerai une œuvre blanche et une œuvre noire. Comme la magie, la poésie peut être noire ou blanche, sorcière ou thaumaturge, ténèbres ou lumières. Noire est la Salomé du Poème des décadences. Blanc, le fantôme fragile de la petite reine Karomama. Blanche aussi, la silhouette furtive de l’aïeule de Vercelli. Il est noir, par contre, excessivement noir, le premier théâtre de Miłosz, ces Scènes de Don Juan qu’on peut considérer comme une œuvre d’exorcisme. Ce drame ténébreux décrit une véritable descente aux enfers. Au sens strict du terme, ce n’est pas une pièce de théâtre ; c’est le long monologue lyrique de Don Juan, une confession atroce où ce héros très peu héroïque révèle ses faiblesses et ses vices. Dans la première scène, Don Juan décrit avec une précision cynique la décrépitude de son père agonisant. Ces propos laissent songeurs quand on sait que le propre père du poète, un père détesté lui aussi, mourut deux ans à peine avant la rédaction de ce texte. Un ressentiment personnel éclate ici de façon évidente, mais là s’arrête le jeu cruel de miroirs, car ce Don Juan de Miłosz est surtout une sorte de caricature du personnage traditionnel. C’est un individu veule, morbide, à demi infirme, qui ne saurait ni séduire ni tromper. Après la mort de Don Luis, son père, il épouse Lola de Tremeur et découvre bientôt que celle-ci couche avec son propre frère, Don Roland. Il tente vainement d’oublier la jeune femme dans le vin et la débauche ; puis il empoisonne Roland, séquestre Lola et – suprême vengeance – la laisse mourir d’inanition dans sa prison, après l’avoir longuement torturée : une véritable scène sadomasochiste, plus proche du théâtre de la cruauté de certains de nos contemporains, Artaud ou Genet, que des drames symbolistes de l’époque.

Or, devant tant de haine et de déréliction, on se pose une question : comment Miłosz a-t-il pu passer de ce théâtre totalement noir à son théâtre blanc ? Des Scènes de Don Juan à Miguel Mañara ? Entre les deux drames, l’opposition est saisissante : que s’est-il passé ? Quelle révélation, quel bouleversement, quel miracle ont changé le loup en colombe ? Une transition nous aide à comprendre. On trouve une étape intermédiaire dans la vie et l’œuvre du poète : un livre inclassable, un grand roman lyrique, une œuvre baroque, superbe, violente, un ouvrage dont le titre est déjà révélateur : L’Amoureuse Initiation. L’analyse de l’intrigue ne saurait donner une idée exacte de ce livre étonnant, traversé d’horreurs et de fulgurances, où les obscénités se mêlent aux élans mystiques en un chaos singulier. Il est étonnant qu’un cinéaste actuel n’ait pas encore été tenté par cet univers haut en couleur. Ceci dit, la plupart des critiques ont été intrigués et ont vu dans ce livre une autobiographie maquillée. À vrai dire, Miłosz y fait tant d’allusions à sa vie personnelle qu’on est tenté d’adhérer à cette thèse.



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