Entretiens avec le bourreau by Kazimierz Moczarski

Entretiens avec le bourreau by Kazimierz Moczarski

Auteur:Kazimierz Moczarski [Moczarski, Kazimierz]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Histoire
ISBN: 9782070444380
Publié: 2018-11-13T05:00:00+00:00


Chapitre XVII

LA CROIX DES BRAVES

— Il y a deux chiffres que j’associe toujours : cinq et quarante-cinq mille, dit un jour Stroop.

Je savais, par nos discussions précédentes, qu’il croyait en la magie des chiffres et qu’il aimait le cinq, auquel il attribuait un rôle particulier dans sa vie. Ici, cependant, je ne saisissais pas le rapport entre le cinq et quarante-cinq mille. Lorsque je lui demandai de quoi il s’agissait il répondit :

— Le solde des Juifs capturés par nous de la première heure de la Grossaktion au cinq mai 1943 atteignait quarante-cinq mille. Ce jour-là, juste avant minuit, Jesuiter, qui notait quotidiennement sur une feuille récapitulative le nombre de Juifs éliminés, se précipita jusqu’à mon bureau du 23 allée d’Ujazdow et tout excité se mit à parler des résultats. Mais Jesuiter était trop familier, trop irrespectueux des formes. Je le rabrouai donc, lui donnai l’ordre de sortir et de se conformer au règlement du service intérieur. Il ferme la porte derrière lui ; je crie : « Entrez !"; il se présente d’une façon fantastique. Bien droit, la tête haute, les mains aux coutures de sa culotte de cheval. Il demande avec déférence l’autorisation de rendre compte d’une affaire très importante. Je le fais approcher du bureau – et j’avais un grand bureau, brillant et nullement encombré de papiers. Jesuiter tend fièrement les récapitulatifs comptables. Je lis. Je dis : “Bien, Jesuiter ! Quarante-cinq mille ! Un beau chiffre, digne de l’antique Germanie – cinq fois neuf et trois zéros. Le Reichsführer S.S. s’en réjouira. »

« J’autorise Jesuiter à prendre place dans un fauteuil. Je lui offre un cigare. Je mets mon monocle. J’étudie encore une fois les données. Il en résultait qu’aux dernières heures de ce 5 mai le nombre total des Juifs capturés dans le ghetto était de quarante – cinq mille et quelques.

« Je parle de l’ensemble des Juifs capturés vivants et de ces cadavres juifs qu’il nous était possible de compter. Nous ne faisions pas figurer dans les statistiques ceux qui avaient été exterminés ou qui s’étaient suicidés et qu’il était difficile d’atteindre ; par exemple ceux qui étaient ensevelis sous les décombres ou qui avaient été brûlés dans les bâtiments incendiés ou liquidés dans les bunkers et dans les égouts. En principe nous ne pénétrions pas dans les bunkers conquis après un combat. Des embuscades ou des pièges pouvaient s’y trouver qui fonctionnaient automatiquement même après la mort des insurgés. Une bombe équipée d’un dispositif d’allumage à retardement avait ainsi explosé, un jour, alors que nous étions en train de fouiller un bunker dont nous nous étions emparés. Vous voyez comment sont ces Juifs, Herr Moczarski ! Ils aiment se venger même après leur mort ! »

Ici il s’interrompit. Je me contenais à grand-peine mais Stroop poursuivit, pour justifier sa décision d’interdire l’accès des bunkers aux S.S. :

— Je ne voulais pas exposer mes soldats au feu et aux gaz. Après avoir ouvert un bunker nous incendiions l’intérieur au lance-flammes et nous lancions des grenades fumigènes.



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