En nous beaucoup d'hommes respirent by Murail Marie-Aude

Auteur:Murail,Marie-Aude [Murail,Marie-Aude]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction, General, Rentrée littéraire 2018
ISBN: 9782378800390
Éditeur: L'Iconoclaste
Publié: 2018-08-27T22:00:00+00:00

Dans certaines lettres, je retrouve la femme dont j’ai gardé le souvenir, celle dont les exigences amoureuses paraissaient tarabiscotées à l’adolescente que j’étais.

Hier soir, j’ai eu un cafard terrible, comme jamais. Ce cafard, n’est-ce pas cette lettre un peu froide que j’avais reçue de vous qui en fut le point de départ ? Pardonnez-moi de vous le faire remarquer mais malgré mes efforts pour lire entre les lignes je n’ai rien découvert et le froid m’a traversée. C’est trop de sensibilité, je sais. Vous me parliez de votre roman, de votre pièce de théâtre, et vous étiez tout à eux… Pardonnez-moi, Gérard. Un rien me fait souffrir. « Un rien te brouille et me salit. » Elle a déjà endossé le rôle qui fut le sien tout au long de sa vie conjugale et qu’elle me résuma en une formule : « Je veille au grain. » Dans ses lettres, elle cherche comment enrober d’humour la mise en garde. Je sais que ces phrases que vous sentez dites avec un froncement du front vous agacent et ne changent en rien votre manière d’agir. Mais il n’a pas plu à Mimi la provinciale que vous vous soyez déguisé en femme. Nous ne doutons pas que vous fûtes parfait et eûtes beaucoup de succès. Puis, évoquant le « sujet épineux et très délicat à traiter » de la pièce de théâtre que Gérard projette, elle commente : Vous savez bien que je ne me choque pas facilement. Toutefois, ne vous cantonnez pas dans l’atmosphère drogue-mœurs spéciales. J’aimerais bien savoir de quoi parlait la pièce de théâtre en question.

Fin novembre, Mimi commence à croire à un retour de son soldat, que ce soit mutation, permission ou libération. Elle a frappé à tant de portes, « rasé » tant de commandants, colonels, généraux ! Mais le 1er décembre, nouvelle déception pour les amoureux. Gérard n’a pas reçu son ordre de mise en route. Noël se fera sans eux. Je ne sais plus quoi faire. Je suis anéantie, dégoûtée. J’ai réfugié ma tristesse chez vous au milieu de vos livres, de vos poèmes. Eux seuls ont su me consoler. Puis, le 3 décembre : Si vous saviez tous les rêves que je fais pour essayer de supporter notre séparation. Toute la journée je vis des heures de bonheur imaginaire. Tenez, ce matin, je rêvais à la soirée du 24 décembre et je voyais tout ce que je désirais avec une précision effrayante : les vêtements, les couleurs, les couleurs surtout, et le dialogue qui s’engageait entre nous et votre visage et le mien. Le plus curieux dans ces périodes d’exaltation, c’est de ne pas se tromper de chemin en allant à l’école et lorsque l’on est au terme du voyage et que l’on voit qu’une grille est faite de fer, que les élèves ont un visage et qu’un morceau de craie blanche trace des mots au tableau noir et que ces mots font une phrase : « Le vilain seigneur a battu un laboureur de mon village.

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