Du sang dans le caviar by A.-L. Dominique

Du sang dans le caviar by A.-L. Dominique

Auteur:A.-L. Dominique
La langue: eng
Format: mobi
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Ce jeudi matin, entre onze heures et midi, Ali vint ranger la Ford-Savane qu'il conduisait dans un emplacement libre de la place Nizami en face de l'aéroport de Tabriz. Il se tourna vers la place arrière où Toinon s'était avachi en travers de la banquette.

— On est arrivés, patron. Je serais toi, j'irais au comité d'accueil des grandes lignes. Il est sûrement là, c'est midi passé.

— Va d’abord voir si on m'a demandé. Tu te souviendras : le docteur Rescure, pour Monsieur Lastoche.

— Tu parles, c'est moi qui ai porté le télégramme et il a même fallu que j'épelle tous les mots.

Ali se rendit au comité d'accueil des grandes lignes, ce qualificatif pompeux, dont la traduction anglaise fleure bon la Croix-Rouge, déguisait en réalité une sorte de gourbi à usage troglodyte bourré d'énormes marchands de tapis, car les vendeurs iraniens voyagent bardés de leur gagne-pain. Une odeur de laine et de chanvre, filigranée par les relents amers des teintures, imprégnait ce local très vaste mais bas de plafond et mal aéré. Ce n'était pas désagréable, plutôt poivré, en tout cas, cela sentait. le « neuf ». Ali aimait cette odeur, mais devant les trente à quarante personnes qui se trouvaient là-dedans, il était fort embarrassé pour savoir à qui il devait s'adresser pour faire sa demande. Il se disait : « Il doit y avoir un chef qui connaît les rendez-vous, mais comment est-ce habillé un chef? » Et il ressortit du local où visiblement il n'y avait que des voyageurs fort ordinaires. Comme tous les Druzes, Ali avait une expression de visage peut-être plus aigué, ses traits étaient plus « coupants » que ceux des Iraniens; bref, il était reconnaissable parmi les autres sans compter certains détails vestimentaires particuliers à sa secte, telle une chemise sans col à l'encolure finement brodée. Noyé dans la foule qui déambulait, Ali se sentait pourtant intrigué par un énorme moustachu qui semblait l'avoir repéré, qui le perdait de vue, puis le retrouvait. Un Européen de forte taille. Ali se disait : « Ça doit être un Allemand ». Parce qu'il lui faisait un peu peur. Avant la guerre de 14, il y avait eu des Allemands dans sa province natale. Son frère lui en avait parlé. Le vieux Druze s'immobilisa, le cœur arrêté. Le gros moustachu, survenant derrière lui, posa une main lourde comme un sac de ciment sur son épaule et balança en anglais une phrase que le Druze ne comprit pas. Mais le redoutable « Allemand » la répéta en français :

— Tu ne viendrais pas de la part d’un nommé Lastoche ?

Ali fut ébranlé par une secousse sismique, il bafouilla timidement en se retournant vers l'autre :

— Un petit peu, monsieur.

__. — Mais, fit l'homme terrible, ce n’est pas défendu! Moi je suis le docteur Rescure.

Le médecin, à un pas du vieux Druze, lui ôtait toute velléité de fuite par la masse imposante de sa chair et de ses os. A tout hasard, Ali se confondit en excuses :

— Il ne faut pas m'en vouloir, je vous cherchais partout.



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