Dix minutes sur le vif by Jean-Christophe Tixier

Auteur:Jean-Christophe Tixier [Tixier, Jean-Christophe]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782748526134
Éditeur: Syros Jeunesse
Publié: 2019-01-15T00:00:00+00:00

1. Lire dans la même collection Dix minutes de dingue.

Chapitre 9

Mardi matin

Dans mon souvenir, Maho est plus grand que moi. Son allure m’a marquée lors de l’annonce des sélections. Un visage fin, encadré par de longs cheveux raides qui en accentuaient l’impression de minceur. Je me rappelle surtout cette mèche qui masquait son regard, et son amertume aussi quand il avait compris qu’il ne faisait pas partie des douze heureux élus.

Munie de son adresse, je me dirige vers le nouveau lotissement qui se trouve à la périphérie de la ville, juste à côté du château d’eau. Ma grand-mère appelle ce coin le « quartier de la honte », tant on a abattu d’arbres pour faire place à la dizaine de maisons qui occupent désormais l’endroit. Je ne lui ai bien entendu pas dit que je m’y rendais. Dès qu’elle parle de ce lieu, elle s’énerve autant que si un intrus était venu dans son jardin arracher ses rosiers.

À partir du nom de famille de Maho, je n’ai eu aucun mal à trouver son adresse. Internet a parfaitement rempli son rôle. J’ai ensuite préparé mon entrevue. Phrases courtes, percutantes. J’ai soupesé chaque mot pour que Maho perçoive ma détermination, sans se sentir agressé. Puis je me suis répété les phrases, les yeux fermés, en m’imaginant face à lui. Mon père m’a raconté que les sportifs font et refont les gestes dans leur tête, et que cela vaut presque autant qu’une séance d’entraînement. Et, en sport virtuel, mon père s’y connaît. Le seul qu’il pratique, c’est sur le canapé face à la télévision. Alors que certains se projettent à la place des joueurs, lui a toujours rêvé d’être commentateur sportif. Je regrette tellement qu’il n’ait pas tenté de réaliser son rêve. Aujourd’hui, il vend des lits dans une grande enseigne. Sans doute sa petite voix lui a-t-elle trop murmuré que ce métier de commentateur n’était pas pour lui et qu’il n’y arriverait pas. L’idée qu’il ait pu renoncer sans même avoir essayé m’énerve et me donne toute l’énergie nécessaire pour foncer de mon côté. Je refuse de passer mon existence à rêver sur mon canapé à des choses que je ne pourrai jamais faire !

Alors que j’approche du lotissement, je me repasse le petit film que je me suis fait : je sonne ; il est surpris de me voir quand il ouvre la porte ; d’une main, il écarte sa mèche et me fixe de ses yeux noirs ; je ne lui laisse pas le temps de prononcer le moindre mot ; je lui dis que je sais et que s’il continue, il aura des ennuis ; je lui parle de mon père avocat, d’un de mes oncles qui travaille dans la police, de quelqu’un qui l’a reconnu. Rien de cela n’est vrai, mais il n’aura pas les moyens de le vérifier. J’ai prévu de le fusiller du regard, puis de lui dire qu’il ferait mieux de s’occuper à autre chose. Et s’il la ramène, je...

– La fouine est en train de fouiner ?

Les mots me saisissent.

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