Des raisons de se plaindre by Jeffrey Eugenides

Des raisons de se plaindre by Jeffrey Eugenides

Auteur:Jeffrey Eugenides
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2018-09-14T17:48:31.110000-03:00 JF
Éditeur: L'Olivier
Publié: 2018-09-11T22:00:00+00:00


Voilà donc pourquoi je suis ici, caché dans ces buissons. Johanna m’a chassé. Je me suis installé dans le centre-ville, près du quartier des théâtres, je loue un trois-pièces dans l’une des résidences hors de prix construites avant la crise et qu’on peine aujourd’hui à remplir.

Je dois être à environ dix-huit mètres de la maison à présent. Dix-sept cinquante, peut-être. Je crois que je vais m’approcher.

Dix-sept.

Seize.

Qu’est-ce que vous dites de ça, monsieur l’agent ?

Je me tiens près de l’un des projecteurs quand je me souviens que les injonctions d’éloignement ne sont pas calculées en pieds, mais en yards. C’est à quarante-cinq mètres que je dois rester !

Malheur.

Mais je ne bouge pas. Je m’explique : si je suis tenu de rester à quarante-cinq mètres, ça veut dire que j’enfreins l’injonction d’éloignement depuis des semaines.

Je suis déjà en faute.

Autant m’approcher un peu.

Jusque sur la véranda de devant, par exemple.

J’en étais sûr : la porte n’est pas fermée à clef. Bon Dieu, Johanna ! me dis-je. Vas-y, laisse-la grande ouverte, laisse les rôdeurs entrer comme dans un moulin !

L’espace d’un instant, ça me reprend comme autrefois. Je suis fou de rage, et me voilà à l’intérieur de ma maison. Un doux sentiment de légitimité me pousse à me manifester. Je sais qui est le coupable dans le cas présent. C’est Johanna. Je brûle d’envie de la trouver et de m’indigner : « Tu as oublié de fermer la porte à clef ! Encore. » Mais pour le coup je ne peux pas, car, légalement, je suis un intrus.

Puis l’odeur me saisit. Ce n’est pas celle des De Rougemont. C’est en partie une odeur de cuisine – des côtes d’agneau, déglacées au vin. Une odeur appétissante. S’y mêle celle du shampoing, Meg qui vient de prendre sa douche en haut. Un air humide, chaud et parfumé descend par la cage d’escalier. Je le sens sur mes joues. Je reconnais également l’odeur de Forelock, trop vieux pour venir dire bonjour à son maître, ce qui, vu les circonstances, m’arrange bien. Ce sont toutes ces odeurs mélangées, c’est-à-dire notre odeur. Celle des D. ! Nous avons fini par vivre ici assez longtemps pour supplanter l’odeur de vieux des De Rougemont. Je ne m’en étais pas aperçu avant. Il a fallu que je sois chassé de chez moi pour être capable de percevoir cette odeur. Même si j’étais un petit garçon doté de superpouvoirs olfactifs, je ne crois pas que je pourrais la trouver autrement qu’agréable.

En haut, Meg sort de sa chambre en courant.

– Lucas ! crie-t-elle. Qu’est-ce que t’as fait de mon chargeur ?!

– J’y ai pas touché, répond-il. (Lui aussi est en haut dans sa chambre.)

– Tu l’as pris !

– Non !

– Si !

– Maman ! hurle Meg, avant d’apparaître sur le palier, d’où elle me voit.

Ou pas. Elle ne porte pas ses lunettes. Le regard rivé sur l’endroit où je me trouve, dans la pénombre, elle poursuit :

– Maman ! Dis à Lucas de me rendre mon chargeur !

J’entends un bruit, je me retourne. C’est Johanna.



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