Dehors by Yann Moix

Dehors by Yann Moix

Auteur:Yann Moix
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française
Éditeur: Grasset
Publié: 2018-06-06T00:00:00+00:00


Vaincre le jour, vaincre la nuit, Vaincre le temps qui colle à moi, Tout ce silence, tout ce bruit, Ma faim, mon destin, mon horrible froid.

Robert DESNOS

J’ai vu à Calais, monsieur le Président, deux petites bouteilles d’eau d’Évian coupées en deux et suspendues à une branche de noisetier. Dans ces bouteilles en plastique, de l’eau de pluie et des brosses à dents. Deux exilés s’étaient confectionné une misérable salle de bains de fortune ; j’y ai vu un symbole puissant de la dignité humaine.

La police est arrivée. Deux CRS ont arraché les « verres à dents » pendus à l’arbre et l’un d’eux a lancé : « Si c’est la salle d’eau, alors il doit y avoir des chiottes. Oui, ça y est, je les ai trouvées, elles sont là ! » Le CRS a uriné sur une pauvre couverture abandonnée dans la panique.

Ce ne sont pas des policiers, monsieur le Président, qui font cela : c’est la police. Lorsque autant d’actes sont autant impunis, cela forme comme une harmonie. « À demain ! » a lancé un CRS, sourire aux lèvres, à un Érythréen dont il venait de détruire le misérable bivouac.

Lorsque cette police s’aperçoit qu’on l’aperçoit, plutôt que d’avoir honte de ses crimes, elle frime, elle bombe le torse : « Nique ta mère ! » Une patrouille de ces hommes m’a fait comprendre que j’étais la honte de la France. L’un d’eux, calmement, m’a demandé quel camp, pendant la Deuxième Guerre, j’aurais choisi. Voici, monsieur le Président, où nous en sommes.

Si des bénévoles ne venaient pas les visiter, blottis qu’ils sont parmi la brenne et les déjections, respirant, la tête à même le bitume, les gaz empoisonnés des véhicules impassibles, personne ne le ferait. Ni vous, ni vos ministres, ni les sbires de vos ministres, ni les sbires des sbires de vos ministres. Personne.

J’ai discuté avec Zakaria, originaire de Sebha, en Libye. Il m’a avoué que dormir le paniquait ; qu’il avait peur non point tant des matraques que de la température. Le froid, monsieur le Président, n’est pas qu’une température, c’est un pays ; c’est un cosmos, c’est un ailleurs. Il existe dans le froid plusieurs degrés de nuit, de détresse, de désespoir. D’abord, le froid se fait attendre ; il fait accroire qu’il est sans danger — c’est qu’en réalité il se prépare, il retient son souffle de mort.

Zakaria n’a plus de couverture ; Emmanuelle et moi sommes allés lui en chercher une, ainsi qu’à Souma, venu d’un village situé dans la banlieue de Sabratha, ainsi qu’à Hassan, issu d’une famille, intégralement décimée, de Zliten. Les couvertures n’ont pas coûté très cher ; ils m’ont pourtant garanti que je leur avais probablement sauvé la vie. Le froid leur fait peur, monsieur le Président. Il les terrorise. Ils restent le plus souvent debout, pour lutter contre son haleine glaciale et ses crocs d’acier ; s’allonger, c’est inviter en soi la possibilité de mourir, c’est faire entrer en soi, à son insu, le ruissellement diffus de la pierre.



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