De mémoire (3) by Rouillan Jann-Marc

De mémoire (3) by Rouillan Jann-Marc

Auteur:Rouillan, Jann-Marc [Jann-Marc, Rouillan]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Agone
Publié: 2011-07-14T16:00:00+00:00


Les six pages qui suivent sont extraites de la bande dessinée réalisée par les trois prisonniers des Gari, Mario, Ratapignade et Sebas, dans la salle commune de la première division de la prison de la Santé en 1975 (diffusé par le Groupe d’entraide de Toulouse, Solidarité économique ; 22 pages, plus chronologie, infra, p. 315-321).

VII. Le Mirail

Dès notre retour à Toulouse, on s’est mis en quête d’un appartement assez grand pour devenir une base opérationnelle. Aurore le loua au Mirail. La ville nouvelle n’avait pas la réputation actuelle, celle d’une zone sans loi, de carrefour de la dope, de délinquance violente, d’émeutes et de guerres communautaires. Au contraire s’y regroupait un milieu BCBG de profs, d’instits et d’ouvriers techniciens. Et des gauchos. Des anciens de 1968. L’endroit était propret et ressemblait encore aux maquettes exposées dans les cabinets d’architecte. Les pelouses. Les arbres. Les allées de graviers clairs. Les jardins d’enfants. Tout faisait penser à un monde innocent et sans problèmes. Un îlot de bonheur et de prospérité avec des airs de « Soyez heureux et oubliez les guerres coloniales, la torture, les assassinats, l’Algérie, l’Afrique française et la guerre au Vietnam » ! Le Mirail était un pur produit des Trente Glorieuses, un projet gaulliste avec sa belle dose de paternalisme niais et trompeur. L’immeuble qu’on habitait jetait vers le ciel un fantastique labyrinthe de corridors, d’escaliers et de coursives. Avec des dizaines d’entrées. Des sous-sols rejoignant des alignements de garages formant des rues souterraines jusqu’à d’autres immeubles. Un paradis pour des clandestins ! Je m’en faisais la réflexion négligemment appuyé à la rambarde du sixième étage. (Quelques années plus tard, après la première émeute, une rénovation se chargea de remettre tout cela en ordre. Les coursives ont été coupées. Les blocs strictement séparés les uns des autres. Certaines entrées condamnées. On transforma le projet initial de sociabilité et de communication libératrice en séparation et en oppression de sécurité. Au Mirail, on comprend comment au fil des décennies l’espace urbain a été bouleversé au service de la politique contre-insurrectionnelle et de contrôle des ghettos.)

Dans ce labyrinthe, on se réunissait à vingt sans éveiller le moindre soupçon. Circuler cinq cents mètres dans un dédale de passages avant de gagner d’immenses parkings et des rues à peine goudronnées. Sur des kilomètres, il n’y avait que des chantiers et un supermarché Casino, un des premiers de la ville, qui attirait (déjà) les foules des consommateurs.

Le Loulou et Tonton louèrent un deux-pièces à l’opposé du centre-ville tout en haut de l’avenue de la Gloire. L’immeuble était encore en construction, il sentait la poussière de ciment et la peinture fraîche. Une esplanade boueuse servait de parking. Seuls deux ou trois appartements étaient habités. Et le jour, dans l’escalier, on croisait des ouvriers portant des casques et trimbalant des câbles et des tuyaux. Rapidement, on a compris l’utilité de cette périphérie instable entre une campagne à l’abandon après la dernière moisson et la cité nouvelle sortie de terre. On y circulait sans aucune difficulté. Traversant des terrains vagues à pied ou en voiture.



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