De joyeuses funérailles by Ludmila Oulitskaïa

Auteur:Ludmila Oulitskaïa
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2014-09-18T16:00:00+00:00

11

L’ingénieur moscovite amenée par on ne sait trop qui était restée coucher sur le tapis et avait aussitôt fait son trou. Le matin, moment le plus calme de la journée, alors que ceux qui travaillaient étaient partis pour leur bureau, et que ceux qui vivaient d’allocations n’avaient pas encore ouvert un œil, alors que Nina elle-même n’avait pas encore émergé de son sommeil au jus d’orange, cette femme, qui ne payait guère de mine et ne laissait aucun souvenir la première fois qu’on la voyait, lava les tasses et les verres de la veille, puis jeta un coup d’œil sur Alik. Il était déjà réveillé.

« Je suis Liouda, de Moscou ! » répéta-t-elle à tout hasard, car, bien qu’elle eût été présentée à Alik la veille, elle était habituée depuis bien longtemps à ce que personne ne se souvienne d’elle la première fois.

« Vous êtes là depuis longtemps ? demanda-t-il, vivement intéressé.

— Six jours. Mais j’ai l’impression que ça fait très longtemps. Je vous fais votre toilette ? »

Elle avait demandé cela avec autant de naturel que si c’était justement son occupation principale, de faire la toilette des malades le matin. Elle apporta aussitôt une serviette humide et lui lava le visage, le cou et les bras.

« Quoi de neuf à Moscou ? demanda machinalement Alik.

— Oh, c’est toujours pareil… Du bla-bla à la radio, des magasins vides… Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir de neuf… Vous voulez votre petit déjeuner ? proposa Liouda.

— On va essayer ! »

Question nourriture, la situation n’était pas fameuse. Ces deux dernières semaines, il n’avait mangé que des aliments pour bébés, et même ces machins aux fruits, il avait du mal à les avaler.

« Je vais faire de la purée de pommes de terre. »

Elle était déjà dans la cuisine, à s’activer dans un léger cliquetis de vaisselle.

Elle prépara une purée liquide qui passa assez bien. De façon générale, ce jour-là, dès le matin, Alik s’était senti mieux : la lumière n’était pas trop voilée et sa vision était normale, sans bizarreries.

Liouda secoua les oreillers d’Alik en songeant avec tristesse au destin qui lui était échu – celui d’enterrer tout le monde. En quarante-cinq ans de vie, elle avait enterré sa mère, son père, ses deux grands-mères, un grand-père, son premier mari, et elle venait d’enterrer sa meilleure amie. Tous, elle les avait nourris, lavés, puis leur avait fait leur toilette mortuaire. Mais celui-là, il ne lui était rien, et voilà qu’il lui tombait dessus…

Elle avait une foule de choses à faire, une liste interminable de courses, de visites à des inconnus, qui voulaient l’interroger sur leur famille moscovite et lui raconter leur vie, mais elle sentait déjà qu’elle était coincée ici, qu’elle n’arriverait pas à s’arracher à cette maison de fous, à cet homme auquel elle était sur le point de s’attacher, et, une fois de plus, il allait falloir se déchirer le cœur, toujours au même endroit…

Le téléphone sonna, et quelqu’un hurla dans l’écouteur :

« Branchez C.N.N. ! Il y a un

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