De cendres et de larmes by Sophie Loubière

Auteur:Sophie Loubière [Loubière, Sophie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier/Thriller, Littérature Française
Éditeur: 12-21
Publié: 2021-05-05T13:32:56+00:00

* * *

1. « Still D.R.E. », de Dr. Dre.

8

Du carrelage vert émeraude jusqu’au miroir surplombant le lavabo, la pièce se couvrait de buée. Le bain d’Anna était soyeux comme un songe et la mousse légère à la surface de l’eau. De la vapeur au parfum d’abricot s’échappait de ses doigts écartés en éventail. Alignées en rang d’oignons sur le bord de la baignoire, des licornes en caoutchouc aux couleurs de l’arc-en-ciel attendaient ce plongeon délicieux par lequel débuterait un conte effroyable de cour d’école. Dégage de là, sale métisse ! Retourne chez les Papous en Afrique ! – Y a pas de Papous en Afrique, espèce de gros nul ! Tour à tour, les licornes seraient secouées, propulsées, écrasées, noyées, sauvées, câlinées sous le regard impassible d’un vieil ours assis dans un angle contre le mur – l’histoire prendrait d’autant plus d’intérêt qu’elle serait entendue. Ta mère, elle est pompier parce qu’elle a le feu aux fesses ! – Et toi, ta mère, quand elle te voit, elle vomit ! Éclairées de l’intérieur, les licornes clignotaient au contact de l’eau, ballottées par les vaguelettes. Leurs petites cornes dorées permettaient de gratter ou piquer différents endroits du corps. Le récit s’achevait en apothéose : une tempête de force douze agitait les flots ; Anna chavirait à maintes reprises, la tête sous l’eau et le derrière en l’air, éclaboussant partout, puis elle jaillissait telle une statue, dégoulinante. En général, son père arrivait quelques minutes après, au moment où la fillette façonnait des seins sur son torse avec de la mousse.

— Anna ! C’est quoi, toute cette flotte ?

Son papa soupira. Il lui tendit une serviette, la frictionna sans entrain, vida l’eau de la baignoire et repartit en oubliant de lui peigner les cheveux.

— Et ne traîne pas. On va passer à table.

Anna s’enveloppa du drap de bain devant le radiateur électrique qui soufflait un air tiède sur ses cuisses. Puis, debout sur le marchepied en plastique bleu, la fillette se peigna comme elle put en clignant des yeux face au miroir. Elle s’assit pour enfiler pyjama, chaussettes, chaussons et robe de chambre, expliquant à son ours que, bientôt, tout irait mieux. Après la Toussaint, un installateur viendrait changer la chaudière, il ferait bon partout dans la maison, elle arrêterait de faire des bronchites à répétition, maman serait moins soucieuse et papa redeviendrait tout doux. Avec prudence, enfin, elle attrapa la peluche, et inspecta sa fourrure élimée avant de la serrer contre son ventre.

Pour rien au monde, Anna n’aurait voulu que ça recommence.

La veille, il s’était passé quelque chose avec son ours quand elle l’avait pris dans ses bras. On aurait dit qu’il était vivant, soudain, et qu’il bougeait son museau. Intriguée, elle avait approché son nez tout près : une bestiole jaune grisâtre escaladait sa fourrure, ondulait, s’allongeait, se dévoilait. La fillette avait bondi en arrière et crié à tue-tête. Un mille-pattes de près de dix centimètres ! Même Eliot, accouru à ses hurlements, n’en avait jamais vu d’aussi gros, avec d’aussi longues pattes, effilées et zébrées, recourbées comme des cils.

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