Daniel Cordier by Les feux de Saint-Elme

Daniel Cordier by Les feux de Saint-Elme

Auteur:Les feux de Saint-Elme [Saint-Elme, Les feux de]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Folio
Publié: 2014-01-14T23:00:00+00:00


À huit heures, je devais dîner chez mon père. Pour réussir ma deuxième tentative, j’avais besoin d’une heure : profitant de la fin d’une partie, j’annonçai mon départ.

« Comment, vous ne restez pas dîner avec nous ? » se récria la mère de mon camarade.

J’étais navré de déplaire à des gens aussi accueillants avec moi. Je balbutiai :

« Léopold ne m’avait pas prévenu.

— Comment David va-t-il rentrer ? » ajouta-t-elle, comme pour me retenir. Je la regardai avec assurance.

« Mais il part avec moi.

— Non, répondit-elle, puisqu’il dîne ici ! »

Avant que j’aie mesuré l’ampleur du désastre, Teck lui répondit :

« Ne t’inquiète pas, maman, je le reconduirai. »

Dans la douleur qui m’étreignit la poitrine, je ne distinguais pas entre la déception de voir s’écrouler mes plans et la jalousie de savoir que David se retrouverait, dans quelques instants, sur le cadre de notre camarade. Il ferait nuit à ce moment-là. Par expérience, je connaissais la suite !

C’en était trop. Après avoir remercié Léopold et sa mère, je m’échappai, littéralement, sans regarder David et sans lui dire adieu.

Sur la route du retour, je pédalai de toutes mes forces, profitant de la pente brutale pour m’étourdir d’une vitesse dont le plaisir n’était pas sans risque. Au lieu de rentrer chez moi, j’allai directement sur la plage du Casino. Profitant de mon temps libre avant dîner, je marchai seul afin de recouvrer mon calme avant d’affronter mon père.

Comment lui cacher mon désarroi ? Tout se brouillait dans ma tête, encombrée des bribes de cette maudite journée.

Je récapitulai. Même après cet échec, je ne pouvais nier la sympathie, pour ne pas dire plus, que David m’avait toujours manifestée. Qu’avait-il connu de ma courte et ardente liaison avec Bob ? Il était trop fin pour l’avoir ignorée, mais trop discret pour en laisser rien paraître. Après la rupture de l’automne 35 avec Bob, son attitude à mon égard avait toutefois imperceptiblement changé. Il était devenu plus présent dans ma vie, toujours plus attentionné. Sans mots ni gestes inutiles, il avait tissé autour de moi une sorte de bouclier de tendresse. Peut-être l’excès de malheur de cette époque me permettait-il d’apprécier une affection toujours manifestée, mais dont jusque-là je n’avais ressenti nul besoin ?

Au fond, j’ignorais les motifs de son attachement pour moi. Mais n’en était-il pas de même des sentiments de mes autres camarades ? Notre vie grégaire, par son excès d’intimité, nous isolait les uns des autres. Pour supporter cette cohabitation forcée, chacun maîtrisait ses impulsions et ne débridait sa sensibilité que dans les limites permises.

Que discernait David de mon attirance pour lui ? Durant ce décevant après-midi, comment aurait-il pu deviner, tout contre lui, la tornade sensuelle qui me dévorait, puisque j’avais mis tant de soin à la masquer ? Je me consolais en imaginant que, peut-être, il en était de même pour lui, qu’il avait souffert autant que moi, et qu’en ce moment même il était déçu par mon indifférence affectée.

Ce méli-mélo sentimental fut soudain masqué par le cruel retour d’un oubli : j’avais trahi mes fermes propos, la parole du Christ et la confiance de l’aumônier.



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