Contes divers 1882 by Guy de Maupassant

Contes divers 1882 by Guy de Maupassant

Auteur:Guy de Maupassant [Maupassant, Guy de]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction, Nouvelles
Éditeur: Feedbooks
Publié: 1882-02-02T05:00:00+00:00


Chapitre 16

Clair de lune

Madame Julie Roubère attendait sa sœur aînée, Mme Henriette Létoré, qui revenait d’un voyage en Suisse.

Le ménage Létoré était parti depuis cinq semaines à peu près. Mme Henriette avait laissé son mari retourner seul à leur propriété du Calvados, où des intérêts l’appelaient, et s’en venait passer quelques jours à Paris, chez sa sœur.

Le soir tombait. Dans le petit salon bourgeois, assombri par le crépuscule, Mme Roubère lisait, distraite, les yeux levés à tout bruit.

Le timbre enfin tinta, et sa sœur parut, tout enveloppée en ses grands vêtements de route. Et tout de suite, sans s’être seulement reconnues, elles s’étreignirent violemment, s’arrêtant de s’embrasser pour recommencer aussitôt.

Puis elles parlèrent, s’interrogeant sur leur santé, leur famille et mille autres choses, bavardant, jetant des mots pressés, coupés, sautant l’un après l’autre, pendant que Mme Henriette défaisait son voile et son chapeau.

La nuit était tombée. Mme Roubère sonna pour avoir une lampe, et, dès que la lumière fut venue, elle regarda sa sœur, prête à l’embrasser encore. Mais elle demeura saisie, effarée, sans parler. Sur les tempes, Mme Létoré avait deux grandes mèches de cheveux blancs. Tout le reste de sa tête était d’un noir sombre et luisant ; mais là, là seulement, des deux côtés, s’allongeaient comme deux ruisseaux d’argent qui se perdaient aussitôt dans la masse sombre de la coiffure. Elle avait pourtant vingt-quatre années à peine et cela était venu subitement depuis son départ pour la Suisse. Immobile, Mme Roubère la regardait stupéfaite, prête à pleurer comme si quelque malheur mystérieux et terrible se fût abattu sur sa sœur ; et elle demanda :

« Qu’as-tu, Henriette ? »

Souriant d’un sourire triste, d’un sourire malade, l’autre répondit :

« Mais rien, je t’assure. Tu regardes mes cheveux blancs ? »

Mais Mme Roubère la saisit impétueusement par les épaules, et, la fouillant du regard, elle répéta :

« Qu’as-tu ? dis-moi ce que tu as. Et si tu mens, je le verrai bien. »

Elles demeuraient face à face, et Mme Henriette, qui devenait pâle à défaillir, avait des larmes au coin de ses yeux baissés.

La sœur répéta :

« Que t’est-il arrivé ? Qu’as-tu ? Réponds-moi ? »

Alors, d’une voix vaincue, l’autre murmura :

« J’ai… j’ai un amant. »

Et, jetant son front sur l’épaule de sa cadette, elle sanglota.

Puis, quand elle se fut un peu calmée, quand les sursauts de sa poitrine s’apaisèrent, elle se mit à parler tout à coup, comme pour rejeter d’elle ce secret, vider cette douleur en un cœur ami.

Alors, se tenant par les mains qu’elles s’étreignaient, les deux femmes allèrent s’affaisser sur un canapé dans le fond sombre du salon, et la plus jeune, passant son bras au cou de l’aînée, la tenant sur son cœur, écouta.

– Oh ! je me reconnais sans excuse ; je ne me comprends pas moi-même, et je suis folle depuis ce jour. Prends garde, petite, prends garde à toi ; si tu savais comme nous sommes faibles, comme nous cédons, comme nous tombons vite ! Il faut un rien, si peu,



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