Cinq questions de morale (Essais Etranger) (French Edition) by Umberto Eco

Cinq questions de morale (Essais Etranger) (French Edition) by Umberto Eco

Auteur:Umberto Eco [Eco, Umberto]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Grasset
Publié: 2000-03-21T23:00:00+00:00


LE QUOTIDIEN DEVIENT HEBDOMADAIRE

Dans les années soixante, les journaux ne souffraient pas encore de la concurrence de la télévision. Seul Achille Campanile, lors d'un congrès sur la télévision à Grosseto, en septembre 1962, avait eu une idée lumineuse : jadis, les journaux étaient les premiers à donner une information, puis les autres publications venaient approfondir la question. Le quotidien était un télégramme se terminant par : « Lettre suit. » Désormais, en 1962, l'information télégraphique était donnée au journal télévisé de vingt heures. Le lendemain matin, la presse donnait la même nouvelle. C'était une lettre se terminant par : « Télégramme suit, et même précède. »

Pourquoi seul un génie comique tel que Campanile a-t-il saisi cette situation paradoxale ? Parce que la télévision était alors limitée à une ou deux chaînes considérées comme gouvernementales, si bien qu'on ne les jugeait (et elles n'étaient pas) dignes de foi. Les journaux disaient plus de choses, de façon moins vague. Les comiques naissaient au cinéma ou au cabaret et n'aboutissaient pas toujours à la télé. La communication politique se faisait en place publique, face à face, ou par l'affichage mural : une étude sur les débats télévisés des années cinquante montre, à travers l'analyse des tribunes politiques, que, pour adapter ses propositions aux téléspectateurs moyens, le représentant du Parti communiste finissait par dire des choses presque identiques à celles du représentant de la Démocratie chrétienne, c'est-à-dire que les différences s'annulaient, chacun cherchant à paraître le plus neutre et le plus rassurant possible. Donc la polémique, la lutte politique, se passaient ailleurs, essentiellement dans les journaux.

Puis, il y a eu le saut quantitatif – les chaînes se sont multipliées – et qualitatif : même à l'intérieur de la télévision d'Etat, les trois chaînes étaient orientées politiquement de manière très différente. La satire, les débats enflammés, la fabrique du scoop ont envahi la télé, qui a même franchi les barrières du sexe, au point que certaines émissions de vingt-deux heures étaient bien plus osées que les couvertures monacales de L'Espresso ou de Panorama2, lesquelles ne dépassaient pas la frontière du fessier. Au début des années soixante encore, je publiais une rubrique sur les talk-shows américains, comme autant de lieux d'une conversation civile, spirituelle, pouvant tenir éveillés les téléspectateurs cloués jusque tard dans la nuit devant leur poste, et je me rappelle les avoir proposés avec passion pour la télé italienne. Puis, les écrans italiens virent l'apparition de plus en plus triomphale du talk-show, qui devint toutefois peu à peu un lieu de rencontres violentes, parfois même physiques, une école de langage sans moyen terme (pour être tout à fait vrai, une telle évolution s'est produite également dans les talk-shows des autres pays).

La télévision étant devenue la première source de diffusion des informations, il ne restait à la presse quotidienne que deux voies : je parlerai plus tard de la première voie possible (que je me contenterai de définir pour l'instant comme «attention élargie ») ; mais je crois possible d'affirmer que les journaux ont suivi en grande partie la seconde voie : ils se sont « hebdomadairisés ».



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