Chair Piment by Gisèle Pineau

Auteur:Gisèle Pineau [Pineau, Gisèle]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Mercure de France
Publié: 2002-08-26T04:00:00+00:00

XV

Lorsque Mina lui avait raconté son histoire – l’histoire vraie de sa vie encombrée du fantôme de Rosalia –, Victor ne parut pas surpris. Il l’écouta sans un mot. Pour lui, elle déballa la légende de l’ancêtre Séléna, l’épopée des cabris qui cherchaient un pays et la déveine de l’abbé défroqué. Elle brava les temps et les pleurs pour qu’il pénètre dans son cœur, là où se terraient les malheurs de Médée, les mauvaises lunes de Melchior, le ventre stérile d’Olga et la folie de Rosalia. Elle fit se lever de nouveau les flammes dans la case et lui décrivit la Rose avec ses cheveux dressés sur la tête, sa chemise de nuit brûlée, sa peau rôtie.

— T’en as qu’un de fantôme. Moi j’en ai trois qui marchent après moi. Tu te rends compte ! Trois ! Elle est pas si folle que ça, ma Bénédicte. Elle aussi elle les voit. Peut-être qu’on pourrait organiser une rencontre quand elle sortira d’Esquirol…

— Non, Victor. Non, je ne crois pas… C’est pas une bonne idée…

— Comme tu veux, Mina. Mais tu vois qu’on n’est pas si différents tous les deux.

Il la prit dans ses bras. Lui murmura qu’il la considérait comme une sœur de misère. Ils feraient le voyage. Iraient là-haut sur le morne. Elle avec la sœur brûlée. Lui avec ses trois. Et peut-être que c’était ce que voulait Bénédicte quand elle lui recommandait d’aller en Guadeloupe pour sa guérison. Peut-être qu’il devait déposer ses fantômes là-bas. Et Victor semblait s’enivrer de ses propres paroles. Oui, ils sortiraient ensemble victorieux de ce périple. Se soutiendraient l’un l’autre. Méritaient tous deux de prendre un nouveau départ. Il répétait :

— En l’an 2000, nous serons libres, Mina. En l’an 2000, nous serons délivrés. Nos fantômes cesseront de nous faire la guerre, Mina…

Et quand il disait « l’an 2000 », ses yeux scintillaient de mille étoiles, mille feux, un brasier dans lequel il jetait sa vieille peau d’homme triste, ses angoisses, ses pensées morbides, les dépouilles de Rosalia et de son père, Edmond.

Mina l’avait regardé et écouté avec la fascination d’une enfant éblouie par le conteur qui ensorcelle son auditoire, pose les mots fous à côté des mots sages et rend crédible l’inimaginable. Alors, elle ne lui en avait plus voulu quand, offrant son corps dans une dernière tentative, elle se vit repoussée.

— Non, Mina… Je ne peux pas… Je ne dois pas… J’ai promis de pas toucher une femme jusqu’à la guérison… C’est la condition. Bénédicte m’a dit que je dois rester pur, pas d’alcool, pas de femme, pas de… Et même si je voulais, tu sais, ces médicaments que je prends me volent le désir…

Il était parti au milieu de la nuit, la laissant seule avec les images fortes de Piment et son corps abandonné qui palpitait d’une jouissance avortée.

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