Ce qu'il faut de nuit by Petitmangin Laurent

Ce qu'il faut de nuit by Petitmangin Laurent

Auteur:Petitmangin, Laurent [Petitmangin, Laurent]
Format: epub
Éditeur: La manufacture de livres
Publié: 2020-08-20T19:29:33+00:00


On arrivait à vivre comme cela, en sachant, tant bien que mal. Les deux durant la semaine, les quatre pendant le week-end. La semaine, Fus et moi, on était en apnée, on se parlait sans se parler. On posait les pieds là où on pouvait encore les poser. En respectant les quelques points qu’il fallait pour que la chose reste vivable. Comme au boulot dans les mauvaises années : bonjour, bonsoir, les consignes nécessaires au bon fonctionnement de la maison, « quand tu pars, dépose la clé au Jacky, il va venir récupérer ses outils demain », « je ferai les courses ce soir » – mais plus jamais « y a quelque chose qui te ferait plaisir ? ». Les « ne m’attends pas ce soir » de Fus me soulageaient et permettaient de gagner un jour d’ici le week-end, même si je me retrouvais un peu con, l’assiette calée sur les genoux, seul devant la télé. On se serait cru au théâtre : on gardait nos distances, on mesurait nos entrées et nos sorties, histoire de ne jamais nous retrouver coincés dans un même couloir. C’était fini le temps où on se serrait autour du petit lavabo de la salle de bains pour se laver les dents. C’était fini le temps où on bâclait la vaisselle en trois coups les gros, l’un sur l’autre, en n’arrêtant pas de se gêner, de se toucher, de se bousculer gentiment. Désormais nos mouvements étaient empesés, pleins de précautions : il fallait laisser une bonne marge, si possible laisser l’autre dégager les lieux avant d’y entrer. Comme si on portait un scaphandre d’une tonne et qu’on marchait dans une putain de zone radioactive.

Pourtant ma colère passait. Je le savais, mais je ne voulais pas l’entendre. Je discutais le soir avec la moman. Elle nous voyait moi et son grand hanter la maison, mais je ne l’entendais pas me demander de passer l’éponge, vraiment pas. J’aurais changé sinon. Comme moi, elle n’arrivait pas à s’en dépêtrer. Comme moi, sa colère s’éteignait, mais pas sa honte. Ce n’était pas le regard des autres, comme je l’avais cru d’abord : ceux qui savaient n’avaient pas l’air trop choqués. Rien de ce que je craignais n’était arrivé. J’avais un fils différent et les gens semblaient s’en accommoder. Ou faisaient semblant. Fus n’était pas toxico, ce n’était pas une saloperie qui terrorisait le quartier, et ça leur suffisait. Ils savaient désormais qu’il était différent. Ils faisaient juste gaffe à ce qu’ils me disaient, à pas commettre d’impairs, pas me faire du mal par une réflexion à la con, un peu comme si je leur avais annoncé que Fus était homo. Rien de bien méchant donc. Ça demandait un peu d’attention, mais ça ne portait pas à conséquence.

On arrivait à avoir Jérémy chez nous presque toutes les semaines. J’avais plaisir à l’écouter nous raconter ses études, autant de plaisir que pour mon Gillou. Quand je n’étais pas en roulement, j’allais fièrement les chercher tous les deux à la gare de Metz pour leur éviter une correspondance au milieu de l’après-midi.



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