au pays des sables by Isabelle Eberhardt

au pays des sables by Isabelle Eberhardt

Auteur:Isabelle Eberhardt [Eberhardt, Isabelle]
La langue: fra
Format: epub
Tags: nouvelles
Éditeur: Losfeld (Editions Joëlle)
Publié: 2012-03-02T05:00:00+00:00


L’Ami

Ordonnances tous deux, Louis Lombard, le tringlot, et Dahmane Bou Saïd, le tirailleur, étaient voisins.

Ils étaient arrivés à El Oued presque en même temps et avaient éprouvé le même dépaysement au milieu de tout ce sable à l’horizon flamboyant, Lombard surtout, montagnard du Jura… Depuis qu’il avait quitté le pays pour faire son « service », il était en proie à une sorte de cauchemar qui allait en s’assombrissant, à mesure que l’aspect des choses environnantes changeait, devenant plus étrange. Dans le décor figé des dunes, dans la ville singulière aux mille coupoles grises, le malaise qui étreignait l’âme fruste du paysan atteignit un degré d’intensité proche du désespoir. C’était si loin, ce pays perdu, et l’œil ne trouvait rien de connu, rien de familier sur quoi se reposer de tout cet éblouissement morne. Et le tringlot errait dans cette vie nouvelle, accablé, le cœur en détresse. Il lui arrivait même de pleurer, la nuit, en pensant à la ferme de ses parents et aux chers vieux.

Bou Saïd était né sur le bord de la mer, à Bône. Lui aussi était habitué à l’ombre des jardins verts au pied de la montagne… Son père, propriétaire aisé, lui avait fait donner une instruction primaire à l’école arabe-française et à la zaouia. Mais, devenu homme, de caractère aventureux, Dahmane avait quitté la maison paternelle et s’était engagé. Pour lui, comme pour le tringlot, l’exil au pays de sable avait été douloureux. Lui aussi avait senti l’emprise angoissante du désert… quoique musulman ; les hommes du Sud étaient bien différents des Arabes du Nord, et ils fuyaient les tirailleurs, qu’ils dédaignaient. Bou Saïd s’isolait, ne voulant pas descendre à la brutalité de ses camarades, dont il avait connu plusieurs, cireurs de bottes à Bône ou portefaix. Et le hasard le rapprocha du tringlot.

Les deux ordonnances ne s’étaient d’abord pas parlé, indifférents. Mais un soir, comme Lombard conduisait le cheval du major à l’abreuvoir, la bête s’emballa et jeta à terre le tringlot. Bou Saïd s’élança à son secours et arrêta l’animal furieux.

Lombard, un grand blond, encore presque imberbe, avait l’habitude de regarder les gens un peu de côté et en dessous, malgré l’honnêteté foncière de son cœur. Il dévisagea le tirailleur, et cette fine figure aquiline, bronzée par le soleil du Sud, lui plut.

— Merci… Donne-moi voir la main pour rentrer cette sale bête à l’écurie…

Pour la première fois, Lombard avait adressé la parole à un Arabe : ces hommes d’un type inconnu, à l’incompréhensible langage, au costume étrange, l’effrayaient presque.

— Tu viens de France, demanda Bou Saïd, comme ils cheminaient côte à côte.

— Bien sûr… Et toi, t’es de par ici ?

— Oh non ! Je suis de Bône, un beau pays où il y a des arbres, de l’eau et des montagnes… Pas comme ici.

— Oh oui, pour un fichu pays, c’est un fichu pays.

Sans savoir, Lombard avait éprouvé du plaisir en apprenant que Bou Saïd n’était pas de ce « fichu pays ». Ça l’encourageait à lui parler. Depuis ce



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