Allah au féminin by Eric Geoffroy

Allah au féminin by Eric Geoffroy

Auteur:Eric Geoffroy [Geoffroy, Eric]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai, Religion
ISBN: 9782226451446
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2020-02-25T23:00:00+00:00


Statut social et rôle initiatique

La liberté dont jouissent – ou qu’ont acquise – certaines femmes de ces premières générations est frappante. Elles voyagent beaucoup, apparemment seules, pratiquant la pérégrination (siyâha), tantôt par pur exercice spirituel, tantôt pour rencontrer des oulémas ou des saints. Cette liberté peut être illustrée par l’inscription que porte Maymûna al-Sawdâ’ sur ses vêtements : « N’est ni à vendre ni à acheter28 ! » Leur liberté de parole face aux hommes, on l’a déjà relevé, revient très souvent dans les textes : « La femme sainte échappe à la norme commune et se trouve souvent en position de donner des leçons aux hommes. Ces derniers n’éprouvent d’ailleurs aucune réticence à en attester la grandeur29. » Un homme demande à une certaine ‘Abdûsa quel était son état spirituel. Elle répond : « Demander quel est l’état spirituel de quelqu’un est proscrit ! » Elles s’en prennent plus particulièrement aux religieux en vue. Ainsi, un jour, l’un d’entre eux entre dans Damas afin d’y donner un cours de grande qualité dans une mosquée. Fâtima de Damas [Fâtima al-Dimashqiyya], qui était présente, lui lance alors : « Abû l-Hasan, tu as bien parlé ! Toi, tu sais parler, mais sais-tu aussi te taire ? » Abû l-Hasan se tut, nous est-il dit, et ne parla plus jamais après cela30. Une autre Fâtima, al-Hajâfiyya, de Nichapour, s’en prend un jour à un spirituel célèbre pour ses prêches, alors qu’il discourait sur l’intimité entre Dieu et le mystique (al-uns) : « Comme tu décris bien ce que tu ne connais pas ! Si tu avais goûté à une part de ce que tu décris ou avais contemplé un peu de ce sur quoi tu discours, tu te tairais ! » Il est également affirmé que ‘Abbâs al-Dînawarî, l’homme qui fut l’objet de cette humiliation, quitta Nichapour pour cette raison31. D’autres exemples de ce type de femmes ayant, cette fois, un avantage sur leur époux, même s’il est un maître éminent, sont aussi répertoriés. Ces femmes, fortes des vertus viriles qu’elles ont acquises sur la voie spirituelle, semblent percevoir les déficiences sur ce point chez leurs pairs masculins, et elles ne manquent pas de le leur reprocher. Plus sobrement, certaines d’entre elles donnent des cours aux savants de leur époque, ou interviennent dans leur cours, et participent à la collecte et la transmission du savoir32.

Apparaissent déjà à cette époque des filiations initiatiques. Il y aurait ainsi à Basra des écoles de spiritualité féminine, dès la fin du VIIIe siècle. Certaines femmes initient et dirigent également des hommes ; l’exemple assez connu de Dhû l-Nûn voyant en Fâtima de Nichapour son maître a déjà été évoqué33. Les femmes qui jouent un rôle initiatique sont souvent dénommées au masculin ustâdh (professeur, maître) : signe de leur virilité spirituelle, ou au contraire refus de leur donner une identité linguistique féminine (la marque du féminin donne ustâdha) ? Force est de constater, par ailleurs, que la langue française est seulement de nos jours en train de féminiser les noms désignant une profession.



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