Walden ou La Vie dans les bois by Henry David Thoreau

Walden ou La Vie dans les bois by Henry David Thoreau

Auteur:Henry David Thoreau [Thoreau, Henry David]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Romans
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2011-10-06T19:32:01+00:00


LES ÉTANGS

Parfois, après une indigestion de société humaine et de commérages, ayant usé jusqu’à la corde tous mes amis du village, je m’en allais à l’aventure plus loin encore vers l’ouest que là où d’ordinaire je m’arrête dans des parties de la commune encore plus écartées, « vers des bois nouveaux et des pâtures neuves »(105), ou bien, tandis que le soleil se couchait, faisais mon souper de gaylussacies et de myrtils sur Fair-Haven Hill, et en amassais une provision pour plusieurs jours. Les fruits ne livrent pas leur vraie saveur à celui qui les achète, non plus qu’à celui qui les cultive pour le marché. Il n’est qu’une seule façon de l’obtenir, encore que peu emploient cette façon-là. Si vous voulez connaître la saveur des myrtils, interrogez le petit vacher ou la gelinotte. C’est une erreur grossière pour qui ne les cueillit point, de s’imaginer qu’il a goûté à des myrtils. Jamais un myrtil ne va jusqu’à Boston ; on ne les y connaît plus depuis le temps où ils poussaient sur ses trois collines. Le goût d’ambroisie et l’essence du fruit disparaissent avec le velouté qu’enlève le frottement éprouvé dans la charrette qui va au marché, et ce devient simple provende. Aussi longtemps que régnera la Justice éternelle, pas le moindre myrtil ne pourra s’y voir transporté des collines du pays en son innocence.

De temps à autre, mon sarclage terminé pour la journée, je rejoignais quelque impatient camarade en train de pêcher depuis le matin sur l’étang, silencieux et immobile comme un canard ou une feuille flottante, et qui, après s’être exercé à différents genres de philosophie, avait conclu, en général, dans le temps que j’arrivais, qu’il appartenait à l’antique secte des cénobites(106). Il était un homme plus âgé, excellent pêcheur et expert en toutes sortes d’arts sylvestres, qui se plaisait à considérer ma maison comme un édifice élevé pour la commodité des pêcheurs ; et non moins me plaisais-je à le voir s’asseoir sur le seuil de ma porte pour arranger ses lignes. Parfois nous restions ensemble sur l’étang, lui assis à un bout du bateau et moi à l’autre ; mais peu de paroles s’échangeaient entre nous, attendu qu’il était devenu sourd en ses dernières années, quoique à l’occasion il fredonnât un psaume, lequel s’harmonisait assez bien avec ma philosophie. Notre commerce, ainsi, en était un d’harmonie continue, beaucoup plus plaisant à se rappeler que si ce fût la parole qui l’eût entretenu. Lorsque, et c’était ordinairement le cas, je n’avais personne à qui parler, j’avais l’habitude de réveiller les échos d’un coup d’aviron sur le flanc de mon bateau, remplissant les bois alentour d’un bruit en cercle de plus en plus élargi, les faisant lever tel le gardien d’une ménagerie ses fauves, jusqu’à tirer un grognement de la moindre vallée, du moindre versant boisés.

Les soirs de chaleur je restais souvent assis dans le bateau à jouer de la flûte, et voyais la perche, que je semblais avoir charmée, se balancer autour de moi, et la lune voyager sur le fond godronné, que jonchaient les épaves de la forêt.



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