Tatouage by Vázquez Montalbán Manuel

Tatouage by Vázquez Montalbán Manuel

Auteur:Vázquez Montalbán, Manuel [Vázquez Montalbán, Manuel]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier
Éditeur: 10-18 Grands détectives
Publié: 1974-06-25T22:00:00+00:00


Elle se présenta, Mme Salomons. Veuve corrigea-t-elle. Ils prirent l’ascenseur pour redescendre de la plate-forme. Tandis que l’employé exécutait la manœuvre de freinage, la jeune femme murmura à l’oreille de Carvalho :

— C’est vrai que Julio est mort ?

— Ça m’en a tout l’air.

— C’est horrible.

Elle semblait remuée. Précédant Pepe, elle le conduisit à une Volvo garée au pied de la tour. Durant le trajet jusqu’au quartier le moins neuf de Rotterdam, ils ne dirent pas un mot. La voiture stoppa dans une petite rue bordée d’arbres, d’où on apercevait le canal, au coin. La jeune femme ouvrit une porte, au rez-de-chaussée d’une maison, et ils pénétrèrent dans une cour plantée de gazon, où une jeune fille en bikini, des jeunes gens barbus et des enfants très blonds, qui jouaient au ballon, prenaient le soleil. Elle ouvrit la porte de son appartement et Carvalho se retrouva sans transition dans une cuisine-salle à manger lumineuse, d’où partait un escalier vers les chambres, à l’étage. Elle fit signe à Carvalho de s’asseoir sur l’un des bancs qui se trouvaient de chaque côté de la table et s’assit en face de lui. Entre eux, une table laquée de blanc, avec au milieu une corbeille d’osier pleine de fruits méditerranéens rutilants. La jeune femme était plongée dans ses pensées. Elle ne regardait pas Carvalho, les yeux obstinément fixés sur une théière en acier posée sur la cuisinière éteinte.

— C’est horrible.

— Vous le connaissiez ?

— Très bien.

Elle leva la tête pour regarder le plafond. Ses yeux étaient pleins de larmes mais son cou était blanc, large, beau.

— Très bien. Très bien.

Et elle se mit à pleurer. Carvalho s’empara d’un pamplemousse qu’on avait dû faire briller avec un chiffon. Les oranges et les citrons, pareil. La jeune femme leva de nouveau son visage, ruisselant de larmes et Carvalho jeta un regard carnassier sur la beauté de son cou blanc. Il soupçonna un instant la jeune femme d’avoir pris des cours dans une succursale de l’Actor’s Studio à Rotterdam. Elle pleurait comme Warren Beatty dans La Fièvre dans le sang. Le silence qui régnait avait quelque chose de théâtral, et sa tristesse se situait à égale distance entre l’effet théâtral et l’effet cinématographique. « Il faut de tout pour faire un monde », se dit Carvalho en épluchant une orange avec les doigts. La veuve se leva pour aller lui chercher une assiette pour mettre les épluchures. Carvalho se rappela alors une vieille boutade d’un professeur de littérature française, Juan Petit : « Imaginez-vous que l’homme angoissé des œuvres de Sartre, en pleine crise d’angoisse, entende frapper à sa porte. Il va ouvrir, c’est l’encaisseur du gaz. S’il peut payer, tout va bien. Il peut retourner à son angoisse métaphysique. Mais s’il ne peut pas payer, son angoisse métaphysique va se faire voir et il en a une nouvelle. » Le professeur était aussi lucide qu’angoissant, avec cet horrible fumigateur à iode dont il faisait continuellement usage pour maîtriser ses crises d’asthme.

— Excusez-moi. Je me donne en spectacle.



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