Servir les riches by Alizée Delpierre

Servir les riches by Alizée Delpierre

Auteur:Alizée Delpierre [Delpierre, Alizée]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai, Sociologie, Littérature Française
Éditeur: La Découverte
Publié: 2022-09-21T22:00:00+00:00


Les riches ont toujours le dernier mot

L’exotisation des corps des domestiques s’inscrit dans des imaginaires postcoloniaux que les sciences humaines et sociales ont bien décrits [26] . Les grandes fortunes recrutent leurs domestiques à partir de hiérarchies et de stéréotypes raciaux qui sont bel et bien l’expression de la domination de classe et de race qui structure les rapports sociaux. Cela contribue de facto à inférioriser celles qui les servent. Dire que les femmes noires sont « maternelles », que les Asiatiques sont « dociles », que les hommes arabes sont « endurants » légitime qu’elles soient employées comme domestiques en même temps que cela les exclut d’autres secteurs professionnels pour lesquels elles n’auraient pas de compétences. Ces stéréotypes confortent les riches dans l’idée que, en ayant des domestiques, ils participent à sauver une partie de la population qui ne trouverait pas d’autre travail – parce qu’elle est issue de l’immigration, parce qu’elle est peu diplômée, pas assez intelligente, etc. Exotiser les qualités des domestiques légitime aussi la division du travail dans une même maison : aux domestiques blanches et/ou issues d’Europe et des États-Unis les postes de direction, aux autres les postes subalternes. Et même lorsqu’au fil de leur expérience ces dernières gravissent la hiérarchie, elles doivent, encore plus que les autres, mériter leur place et leur salaire, et en être reconnaissantes. Comme le dit un patron, « dans leur pays d’origine, [elles] ne gagneraient rien du tout ».

Il arrive que les domestiques refusent un emploi alors même que les patronnes les rappellent après un entretien et une période d’essai concluants. Anaïs l’a déjà fait. Amor aussi. Toutes les deux ont des années d’expérience de la domesticité derrière elles, un réseau bien établi parmi les grandes fortunes et celles qui les servent, et trouvent à tous les coups plusieurs offres. Elles peuvent, comme le dit Amor, faire leur marché. Les domestiques véhiculent elles aussi de nombreux clichés sur les riches. Les nouveaux riches sont réputés donner de très bons salaires et de beaux cadeaux. Les aristocrates sont décrits comme radins. Les Russes sont dits colériques, les Américains plutôt cool, les Français stressés. L’essentialisation de classe et de race existe aussi chez les domestiques envers leurs patrons. Un jour, Trisha a proposé à Amor de travailler pour des multimillionnaires chinois sur la Côte d’Azur. Elle a refusé de les rencontrer, s’étant juré de ne jamais travailler pour des patrons chinois. « Nous, les Philippines, on se méfie des Chinois », affirme-t-elle. Anaïs, elle, a une fois démissionné quelques jours après sa prise de poste, car elle s’est mise à « avoir peur de bosser pour des gens du Moyen-Orient ». D’ailleurs, les domestiques sont souvent hésitantes face aux emplois vacants chez les Émiriens installés en France, réputés très riches mais esclavagistes.

L’appariement entre patrons et domestiques repose sur une domination symbolique des premiers sur les secondes : en jouant le jeu de se conformer aux stéréotypes et aux attentes des riches, les domestiques contribuent à les reproduire. Est-il possible de faire autrement ?



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