Régimes d'historicité. Présentisme et expériences by Hartog François

Régimes d'historicité. Présentisme et expériences by Hartog François

Auteur:Hartog, François [Hartog, François]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Histoire, Historiographie
Amazon: B00QKF0NJC
Éditeur: Le Seuil
Publié: 2014-11-24T23:00:00+00:00


Exploration continuée du national au prisme de la mémoire, Les Lieux de mémoire ont mis en évidence une périodisation des « poussées mémorielles », avec plusieurs temps forts : 1830 (résumé par l’œuvre de Guizot), 1880 (quand se fixent les rituels de la République et son histoire), 1980 (le point de départ et la raison d’être de l’enquête des Lieux). Il en est encore une, capitale selon moi : 1914 (il s’agit, là encore, d’un chiffre rond). Elle est demeurée moins visible (y compris dans l’enquête de Nora), dans la mesure même où elle ne s’est pas traduite par l’organisation d’institutions centrales d’histoire ou par la production de grandes histoires nationales, reprises à nouveaux frais ou renouvelées, mais plutôt par une contestation de l’histoire officielle, une valorisation déjà de la mémoire contre l’histoire et, chez quelques-uns, la recherche d’une autre histoire, c’est-à-dire d’abord d’autres temporalités historiques, conduisant à de nouvelles périodisations. Le travail de Halbwachs sur la mémoire se rattachait à ce moment de crise de l’ordre du temps, accompagné par des mises en question du régime moderne d’historicité.

De cette crise du temps, le projet même de À la recherche du temps perdu était, déjà, un signe aux résonances multiples. L’œuvre est pour finir ce livre à venir, qui devrait dire le temps même, « la forme du Temps », après que, dans la bibliothèque du prince de Guermantes, l’évidence de l’idée du Temps s’est finalement imposée au narrateur. Déjà, s’y rencontre une forme du lieu de mémoire. Proust ne parle-t-il pas de « lieu lointain », et de « lieu actuel » et, de l’un à l’autre, la sensation elle-même d’autrefois, tandis qu’opère la résurrection de la mémoire, qui est irruption du passé dans le présent ? Ainsi, Mme de Saint-Loup apparaît au regard du narrateur comme une sorte de lieu de mémoire : « N’était-elle pas, se demande-t-il, comme sont dans les forêts les étoiles des carrefours où viennent converger des routes venues, pour notre vie aussi, des points les plus différents ?» Puisque venaient aboutir à elle, « les deux grands côtés » où il avait fait « tant de promenades et de rêves » 79. Le livre peut désormais s’achever sur cette présence physique, toute verticale du temps. « L’homme, ayant la longueur non de son corps mais de ses années », est juché, on s’en souvient, sur des échasses vivantes de temps, qui peuvent être « parfois plus hautes que des clochers ». Tel le duc de Guermantes, vacillant sur ses jambes. « Dans le Temps » sont donc bien les derniers mots de la Recherche.

Proust mènerait vers Bergson et ses analyses de la durée 80. On devrait y rattacher aussi Charles Péguy, adversaire proclamé et féroce de l’histoire, telle que l’incarnaient et la promouvaient les maîtres de la Sorbonne, Lavisse, Langlois et Seignobos. Contre l’histoire, Péguy se réclame résolument de la mémoire. Contre la sacro-sainte méthode historique, il choisit Hugo et Michelet. Dans Clio, il oppose l’histoire « essentiellement longitudinale » à la mémoire « essentiellement verticale ».



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