Raiponce by Louis-Pier Sicard

Auteur:Louis-Pier Sicard [Sicard, Louis-Pier]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fantastique, Science-fiction
ISBN: 9782897868338
Éditeur: Éditions AdA
Publié: 2018-12-16T00:00:00+00:00

III

P étunia demeura longuement immobile, près du mur, se reprochant son propre mépris envers l’innocence et la crédulité de sa compagne d’infortune. N’avait-elle pas, elle aussi, nourri les mêmes espérances naïves à son arrivée dans cette cellule caverneuse ? N’avait-elle pas cherché à devancer son bourreau en la surprenant avec une arme qu’elle cherchait encore ? N’avait-elle pas cru possible de survivre à cet enfer de ténèbres et de froid ? Oui, inutile de se le cacher. Mais l’être humain toujours méprise, du haut de son expérience, les erreurs et apprentissages que lui-même a dû faire pour s’y rendre ; le déni du passé est le premier jalon de l’orgueil.

Elle caressa fébrilement son cuir chevelu, sur lequel les masses coagulées se mêlaient au sang frais. Ce qu’elle avait dit à Jacinthe était faux, de surcroît : on ne s’y habituait jamais vraiment.

Depuis combien de temps était-elle coincée dans cette alcôve ? Elle n’aurait su le dire, ne bénéficiant pas, elle, d’une pareille fenêtre sur l’extérieur. De n’avoir pour unique occupation que ses pensées noires contribuait certes à étirer perfidement le temps ; son antipathie était aussi due à cette lassitude d’avoir tout évalué, tout réfléchi. Il n’y avait d’issue à ce cauchemar. Quand bien même elle crochetait la serrure au moment fortuit où la sorcière était endormie, quand bien même elle évitait tous les pièges et repérait miraculeusement la sortie, elle se retrouvait sans un repère au cœur d’un bois à une température avoisinant le seuil de congélation, affaiblie, affamée et avec pour seul vêtement cette robe ridicule qu’elle avait portée le soir de son enlèvement. L’évocation de ce dernier instant de liberté humecta ses yeux de ces larmes qu’elle croyait avoir épuisées dans les derniers jours — mais la tristesse est un puits infini où le seau du souvenir s’enfonce sans relâche.

Encore assise sur la pierre froide, incapable de remuer sous l’emprise de ses songes amers, Pétunia se revit dans sa chambre se pomponner, toute parée de baume, de rouge à lèvres et de mascara. Ce soir-là avait été celui de ses 18 ans, celui où elle avait prévu fouler le plancher d’une boîte de nuit de ses talons aiguille en toute légalité pour la première fois. Dernière de sa bande à obtenir l’âge de majorité, toutes ses amies avaient été censées l’attendre au bar le plus couru de la municipalité voisine. Ne désirant pas emprunter la voiture de ses parents, il lui avait fallu marcher jusqu’à la station d’autobus la plus rapprochée. Marcher un kilomètre ainsi accoutrée par le temps froid n’avait auguré rien d’agréable, mais ce sacrifice lui avait paru négligeable face à ce qui l’aurait attendue une fois arrivée à destination. Le chemin qu’elle avait choisi était une rue d’ordinaire passante, quoique déserte à l’heure où elle l’avait empruntée, bordée d’un côté par le village, de l’autre par les bois. Elle avait dû être à mi-chemin lorsque son mince talon avait roulé sur un caillou dans la voie d’accotement, la faisant trébucher. Pétunia avait maudit cette maladresse qui avait taché de boue sa belle robe.

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