Parias by Pascal Bruckner

Parias by Pascal Bruckner

Auteur:Pascal Bruckner
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Seuil
Publié: 2014-01-23T05:00:00+00:00


7

Des bains au champagne

* * *

Mais, avant de partir, Julien nous réserva une de ces surprises dont il avait le secret, donnant une autre preuve de son talent à embellir la vie. Le matin de Noël, il entra en grande solennité dans notre chambre et, ses yeux noirs gardant une étincelle rieuse, annonça :

— Messieurs, préparez-vous. Vous dormirez ce soir dans un palace. Mettez vos plus beaux habits, rasez-vous, parfumez-vous, passez une veste et ces deux cravates que je vous ai achetées. Ne posez pas de questions.

Peu après, munis chacun d’une belle valise remplie de papier roulé en boule, nous poussions la porte de l’hôtel Taj Mahal. Julien, cheveux coupés court, élégamment vêtu d’un costume de lin, avisa une réceptionniste, et dans son plus bel anglais réclama la double room for three réservée depuis Paris. Il jeta sur le comptoir trois passeports neufs que nous n’avions jamais vus. A voix basse, tandis que la préposée remplissait notre fiche, il s’expliqua : les papiers venaient de l’Angoisse qui disposait des tampons officiels de toutes les préfectures françaises ainsi que des douanes indiennes. Nous représentions une firme hexagonale de composants électroniques. Je m’appelais désormais Ribouldingue, Dominique, Filochard et lui, Croquignol.

Aussitôt, un portier nous conduisit avec force salamalecs jusqu’à un appartement immense situé dans l’ancien bâtiment, avec terrasse sur le jardin intérieur et balcons sur la mer. On enfonçait d’au moins quinze centimètres dans une moquette épaisse et blanche comme un tapis de neige. La salle de bains avait la hauteur d’une nef de cathédrale, dans la baignoire un couple d’hippopotames aurait pu s’ébattre. Les placards avaient été conçus pour entreposer la garde-robe d’un théâtre, les lits fabriqués pour des surhommes et nous occupions à trois l’espace d’un village entier. Dans ce pays de multitudes foisonnantes et de surpopulation, les maîtres avaient droit à une débauche de surface, à un gaspillage de place inutile : le vaste restait l’apanage du fortuné. Des dizaines de ventilateurs géants aéraient ces pièces avec des ronflements d’escadrilles. Si on les ouvrait ensemble soufflait un vrai sirocco : tout s’envolait, les draps gonflaient leurs ailes de tissu, les oreillers claquaient comme des focs de grand-voile, les chaussettes planaient à la façon d’une plume, les portes claquaient, les murs s’arc-boutaient, les cheveux se hérissaient.

De superbes fauteuils Régence encadrés de lourdes tentures de velours à pompons et un canapé de la même époque, fraîchement redoré, meublaient la chambre. Sur les murs pendaient des gravures du siècle dernier représentant des scènes de chasse, de durbar, de réceptions entre officiers britanniques brillamment chamarrés et potentats locaux en habit d’apparat.

— J’espère, nous dit Julien, que vous saurez jouir en artistes du contraste entre votre gêne de ces derniers mois et votre opulence actuelle. A partir de maintenant, nous n’avons qu’un objectif : tenir le plus longtemps possible sans nous faire prendre. A la première alerte, il faut partir séance tenante. Attention aux détectives de l’hôtel. En cas de pépin, une seule consigne : niez, niez farouchement et élevez la voix. Prenez-le de haut, ça intimide toujours et vous gagnerez du temps.



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