Mourir d'enfance by Boudard Alphonse

Mourir d'enfance by Boudard Alphonse

Auteur:Boudard, Alphonse [Alphonse, Boudard]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Autobiographie
Éditeur: Robert Laffont
Publié: 2014-06-11T16:00:00+00:00


8

Guerriers au repos

Ce qui me perturbait c’est que je me demandais pourquoi ma mère était descendue avec m’sieur Raoul. Je vous ai dit, j’avais cru un certain temps que c’était un ancien amant de ma grand-mère. Y avait entre eux des mots, des façons de se parler qui pouvaient donner consistance à mes suppositions. Et là, il a bien fallu que je me fasse à l’idée qu’il villégiaturait pas avec ma dabe uniquement pour l’escorter jusqu’au chevet de son fils amputé d’un morceau de fesse pour la France.

On a été, je me souviens, becter dans un restau de marché noir. Il connaissait partout les bonnes tables m’sieur Raoul. Certains de ses anciens collègues de gilet rayé se retiraient dans l’hôtellerie plus volontiers que dans la métallurgie. Il voulait me faire honneur, je le méritais bien, j’étais déjà sur les listes de propositions pour la croix de guerre.

— Vous pourriez peut-être faire carrière dans l’Armée.

Il avait entendu dire que les combattants de la Résistance auraient des facilités pour entrer dans une école militaire. J’ai répondu, oui oui… je verrai. Fallait déjà que la guerre s’achève. Sous peu j’allais, ma convalo terminée, repartir à l’assaut de la forteresse germanique, traquer la bête en son repaire. Après n’est-ce pas, il serait toujours temps d’aviser. Carrière est un mot que j’ai jamais employé en tout cas à la première personne. C’est un tort certainement. Se prévoir un plan de carrière !… Faire carrière !… Nous entrerons dans la carrière ! Même dans l’écriture, les belles lettres, y a comme ça, des jeunes qui se programment dès leurs débuts l’avenir en goncourtisaneries, en échelons à gravir… qui bébés portent déjà des barboteuses vertes pour se préparer l’Académie. Je ne les blâme pas… et de quel droit ? Mais surtout je m’en balance… Les choses m’adviennent et je fais avec.

En tout cas, je me rappelle plus ce que j’ai bâfré à cette table du marché noir avec maman et m’sieur Raoul devenu un tonton comme les autres. J’aurais dû m’en foutre de tout ça… que je le trouvais pas si jojo le Raoul avec ses étiquettes pavoisantes, son quart de brie… ses manières que je n’arrivais pas à dissocier de sa condition larbineuse.

Ma mère était la moins gênée, elle était contente de savoir que ma blessure me laisserait aucune séquelle. Rayonnante, elle avait une nature à prendre la vie du bon côté et elle avait cent mille fois raison. C’était moi qui déconnais intérieur, qui me permettais des états d’âme. Petit à petit, je me suis laissé aller sur la dive… c’est du jurançon dans ce coin-là, le vin généreux qui baptisa le roy Henri. Depuis le début de mes pérégrinations guerrières avec le colonel Fabien, puis aux commandos, je crachais pas sur les boissons qui se présentaient. Nos distractions en quartier libre, hors des combats, des escarmouches, se terminaient invariable dans les pires boxons dont on revenait, pas toujours en ayant tiré sa crampe, mais fin défoncé titubant. Un rite. Les buveurs d’eau ça la fout mal à la guerre.



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