Mes grands Bordeaux by Pierre-Jean Remy

Mes grands Bordeaux by Pierre-Jean Remy

Auteur:Pierre-Jean Remy
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Albin Michel


La remontée du temps

J’AI SOIXANTE ANS ET J’AIME LE BORDEAUX. L’âge est venu : l’âge, mon ange, répétais-je à la belle infidèle et, la vie étant ce qu’elle est quand les femmes ne sont pas ce qu’on aurait aimé qu’elles fussent, il nous reste les livres, la musique, les films peut-être, et le plaisir de se retrouver ensemble, amis de toujours ou d’hier seulement, ici sous les platanes, là le tilleul de la cour, là encore une salle à manger, le soir qui vient, la table mise, les cristaux, la serviette un peu rêche sur nos lèvres, comme à l’hôtel de Balbec – nos conversations et la bouteille qu’on se passe de main en main, chacun se sert à son tour, la nuit achève de tomber, elle est tombée depuis longtemps et c’est une deuxième bouteille, une autre encore qu’on a ouverte.

Le monde est vaste, oui, nous avons beaucoup voyagé et nous en avons lus, des livres, mais aussi aimé des femmes, écouté des musiques et, pourquoi pas ? goûté des vins. La bouteille de champagne qui rafraîchit dans l’eau, sous les herbes, jusqu’à l’heure de l’entracte à Glyndebourne ou le petit côtes-de-provence qui vient des vignes, sous ma maison, entre Aix et Avignon ; le gamay que je redécouvre chaque fois que rien ne me plaît vraiment sur la carte des vins et qui ne me déçoit que rarement ; ou tous mes chers chianti, ceux d’Inès, d’Irina, de Bona, Cristina et les autres, auprès desquels j’ai si bien appris, tant d’années, à vivre. Comme un quatuor de Mozart ou de Chostakovitch, une partita pour violon solo de Bach, Maria Callas hier, Renée Fleming aujourd’hui en Manon ou en Comtesse, ou les trois dernières sonates, les opus posthumes de Schubert, les bordeaux de toujours ont gardé leur même place : la première. Comme un poème de Baudelaire, une mélodie de Duparc ou de Fauré, le soulier rouge de la duchesse de Guermantes, l’odeur de Venise pour Ashenbach agonisant ou le masque de l’inconnue de la Seine : la première place, toujours.

D’autres livres nous enchantent, d’autres vins ont leur gaieté, celui-ci est jovial et cet autre amusant. Il en existe pour les grandes gueules, pour les fins chasseurs, pour les amoureux : seuls les grands crus classés que nous avons longuement appris à aimer ont cette noblesse, la sûreté fragile, la pérennité certaine qui font leur beauté, leur grandeur, leur poésie aussi. Ainsi étions-nous, l’autre soir, sept à nous retrouver, juste après les vendanges, dans ce château ami, on dira quelque part dans le Médoc. Un très grand château, en vérité, qui possède tant de lettres de noblesse aux frontons de toutes les cartes des plus grands restaurants du monde comme enfouies au plus profond des plus belles caves que je ne saurais le nommer davantage, de peur de peiner les autres, qui sont aussi des amis, ou d’en heurter encore d’autres, qui auraient pu l’être. Aussi brouillerai-je les pistes, disant que là vit toute une famille avec une grand-mère



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