Marseille, une biographie by François Thomazeau

Auteur:François Thomazeau
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782234074477
Éditeur: Stock
Publié: 2013-07-14T16:00:00+00:00

11

Pierre me surprend en pleine rêverie. Je sursaute et il m’apaise.

– Je m’ennuyais un peu au bar, alors je suis monté. J’ai voulu prendre le chemin que tu m’as indiqué. C’est marrant, quand on sait, c’est facile…

Après avoir contourné la Tourette et être passé sous l’autoroute, les fourrés sont si touffus qu’il est impossible d’apercevoir le sentier qui s’engage dans la falaise. Il faut s’approcher jusqu’au taillis pour le découvrir. Pierre m’avoue qu’il a un petit peu tâtonné et qu’un paquet de Marlboro chiffonné lui a montré la voie.

– Tu crois qu’ils viennent toujours ici ?

– Les mômes ?

– Oui. Qui d’autre ?

– Je ne sais pas. Sans doute. Je m’en moque un peu, pour te dire la vérité. S’ils ne me dérangent pas et moi non plus…

Pierre n’insiste pas. Les règlements de comptes se multiplient dans les quartiers Nord, mais ici le calme est revenu. Aucun préfet, aucun ministre n’est venu visiter nos cités. Il y a des mots clés, comme cela, qui attirent l’œil, la curiosité, les télévisions, les élus : drogue, quartiers Nord, kalachnikov. Et cette menace occulte que tout le monde subodore sans jamais l’exprimer. Islam. Terrorisme. Les croquemitaines d’aujourd’hui. Les nouveaux Barbaresques. Mais Saint-Marcel et ses collines, sa pagode et ses châteaux n’intéressent que moi.

Pierre sourit.

– Tu avais l’air rêveur…

– Oui. Je voguais avec le chevalier de Forbin autour de la Méditerranée. J’ai croisé des Aragonais, des Maures, peut-être même tes ancêtres. C’est fou ce qu’on voyage en imagination !

– Tu n’es pas allé en terre de Siam ?

– Pas encore. Mais je ne vais pas tarder. Si je veux vraiment marcher sur les traces du grand homme.

Je lui raconte les folles aventures du seigneur de Saint-Marcel, mais il les connaît mieux que moi. Une idée me traverse soudain l’esprit.

– Dis-moi, je me demandais si des gens des vieux quartiers étaient venus se réfugier à Saint-Marcel après le percement de la rue Impériale, enfin, la rue de la République.

Le vent caresse sa nuque longue, il se gratte la tête.

– D’après ce que je sais, les premiers Italiens sont arrivés ici à la toute fin du XIXe siècle, donc une trentaine d’années après l’expulsion des vieux quartiers détruits. En 1865, il ne doit guère y avoir que les Forbin qui sont revenus ici. Plus tard, les vieux moulins construits par les moines de Saint-Victor et exploités par ces mêmes Forbin sont devenus des minoteries et les premiers immigrants sont arrivés. Le mouvement des Italiens vers les quartiers s’est accentué à partir de 1881 et les fameuses Vêpres marseillaises.

Je lui adresse un regard étonné. Il hoche la tête.

– Tu ne connais pas cet épisode des Vêpres marseillaises ?

– Non. Mon ami Michel, tu sais, le pêcheur, m’a parlé des Vêpres siciliennes, mais je ne savais pas qu’il y avait eu des Vêpres marseillaises.

Pierre accentue le va-et-vient des mains dans ses cheveux.

– C’est lié en fait. Tu vas voir… En 1881, pendant trois jours et trois nuits, Marseille a été la proie de véritables ratonnades contre les Italiens. On nous appelait à l’époque les Babis, ce qui veut dire « crapaud » en napolitain.

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