Marcel Proust by Picon Jérôme

Auteur:Picon, Jérôme [Picon, Jérôme]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Flammarion
Publié: 2016-02-09T23:00:00+00:00

Je vous quitte, mais pour rester avec vous

Ces réactions en chaîne, ces ventes encourageantes, ces premières analyses approfondies ne restent pas sans conséquence, au milieu de dérisoires et inévitables malentendus. Début février, Marcel se demande quelle bonne âme « a signé J.L. dans le Tout Paris Magazine un article aimable » où la question est posée, avec insistance, du prix littéraire qu’aucun jury n’a voulu lui attribuer109. Il s’amuse des comptes rendus émus qu’on s’oblige à lui faire, par exemple à propos du passage sur « la première communion » – alors qu’« il n’y a nulle première communion dans ce livre ». Albufera, lui, ne parvient pas à se rappeler s’il a lu Swann ou non : « Si je l’ai reçu, me dit-il, tu peux être sûr que je l’ai lu, mais je ne suis pas certain de l’avoir reçu. »110 Et voici que Fasquelle fait dire par Maurice Rostand qu’il est prêt à prendre la relève de l’édition, peu avant que n’arrive la même proposition de la part de la NRF. Le retournement des deux éditeurs et leurs « très belles offres », un an après le refus de son manuscrit, donnent à réfléchir111.

À vrai dire, la surprise n’est pas complète. Depuis janvier, depuis la lettre devenue fameuse dans laquelle André Gide a voulu reconnaître l’erreur commise par la NRF en 1913, un frémissement est sensible. L’explication a été rapide, en apparence assez superficielle. Gide a confessé que les administrateurs de la jeune maison, et lui le premier, s’étaient méfiés de ce mondain, journaliste du Figaro, un snob et un amateur d’un autre temps, évidemment étranger à leurs exigences112. Ce n’est donc pas l’auteur de Swann qu’ils ont refusé, mais celui qu’ils croyaient qu’il était – une explication piteuse mais qui ménage la susceptibilité de l’écrivain, et l’avenir autant que possible. La dactylographie qui avait été communiquée a-t-elle été seulement sortie de son enveloppe, pour être lue ? Cette question, jamais vraiment tranchée, n’est même pas posée par Proust, qui à présent recycle ce qui lui reste de dépit dans l’humour et la dérision. « J’ai souvent éprouvé que certaines grandes joies ont pour condition que nous ayons d’abord été privés d’une joie de moindre qualité […]. Sans le refus, sans les refus répétés de la NRF, je n’aurais pas reçu votre lettre » : venu en pénitent, Gide repart tout orné de compliments perfides, dont le moindre n’est pas le dernier, Proust se tournant vers la livraison du 1er janvier de la NRf, qu’il a devant lui, et où se trouve un texte de son correspondant – « Je vous remercie et je vous quitte, mais pour rester avec vous, pour vous suivre toute cette soirée dans Les Caves du Vatican. »113

Les semaines suivantes, une divergence plus profonde se dessine pourtant. Non pas avec Jacques Rivière, dont le courrier fin janvier relance la procédure de rapprochement initiée par Gide : le jeune écrivain, fougueux secrétaire de la NRf, sait en effet choisir les mots qui ramènent

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