Madame H. by Debray Regis

Madame H. by Debray Regis

Auteur:Debray, Regis [Debray, Regis]
La langue: fra
Format: epub
Tags: RL15
Éditeur: Gallimard
Publié: 2015-06-30T22:00:00+00:00


VII

De discrets appels de phare en provenance de La Boisserie me revanchaient en douce de ces humiliations. Le retraité de Colombey, après avoir mis un terme à ses fonctions au moyen d’un référendum délibérément imbécile, s’était replié dans son manoir pour y écrire, par antiphrases, ses Mémoires d’espoir (lui qui n’en avait plus guère). Il s’aidait à cette fin de son ancien chef du service de presse à l’Élysée, le diplomate Pierre-Louis Blanc, qui venait régulièrement de Paris lui apporter sa matière première de dossiers et documents. Ce serviteur de l’État, excellent homme, était devenu un ami par le hasard d’une rencontre, et il m’informa un jour par téléphone que le Général souhaitait déjeuner avec moi. L’intention me parut des plus louables, et cet appel des forêts mérovingiennes, parfaitement adapté à mon pedigree comme à mon tempérament.

Je ne laissai pas de m’interroger sur le but précis de notre entrevue. Si j’étais certes heureux de pouvoir réparer l’affront qu’avaient fait au Grand Charles mes aînés normaliens, le 21 février 1959, quand certains refusèrent de lui serrer la main lors de la seule visite qu’il fit à notre École, je me demandais ce qu’il avait exactement en cime, notre chêne encore debout ?

Me donner à lire un chapitre de L’Effort qu’il venait de terminer ? Me demander mon interprétation du Suréna de Corneille et de sa fin tragique ? Ou tout bonnement faire le point sur les affaires de l’univers ? Cherchait-il un remplaçant à Massu, parce que Baden-Baden et de mauvais souvenirs ? à Malraux, parce que le grand ton, ça gonfle, à force ? à Romain Gary, parce que Jean Seberg et le refus de tante Yvonne d’ouvrir sa porte à la luxure hollywoodienne ? Sans doute savait-il qu’avec moi, vu mon humilité bien connue, il n’y aurait après nos échanges ni livre ni communiqué, ni les clichés habituels, l’œil rond d’éléphant, le moelleux du menhir, l’urbanité du diplodocus, etc. De mon côté, je pressentais chez l’homme du 18 juin un coup de blues propice aux silencieuses télépathies. Nous avions en partage, outre certaine répugnance au monde frelaté de la presse et du spectacle, l’art du bluff, le goût âcre du néant et une incapacité très vieille France à aimer la France telle qu’elle est. Le reclus avait appris, par Thérèse de Liancourt, une ancienne de la France Libre qui fut consule à La Paz quand je n’en étais pas loin, que j’étais également sujet à des vagues de tristesse chaque fois que me revenaient en tête les couacs de l’existence. La tentation non de Venise, mais de la Haute-Marne, autant dire du suicide, ne m’était pas étrangère. « Tout est fichu », marmonnait-il lui-même à chaque retour en arrière, reprenant l’expression familière à tous ceux qui savent à quoi s’en tenir. Bref, il n’était pas idiot d’espérer, comme en algèbre deux moins font un plus, que deux crépuscules additionnés par une après-midi d’automne fassent derechef une promesse de l’aube.

C’est ainsi qu’un samedi du week-end de la Toussaint, de tôt matin, je pris l’autoroute de l’Est dans ma R4 (achetons français).



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