Louve musulmance by El Atrassi

Louve musulmance by El Atrassi

Auteur:El Atrassi
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Archipel


14

DESCENTE VERS L’ENFER

Quinze jours plus tard, un sentiment animal m’alerte : nous sommes devenues trop visibles. La période des vacances familiales est proche, et mes parents sont peut-être déjà à Douar Doum. Dès son arrivée, Choukri aura certainement été informé de notre disparition. S’il faisait des recherches à Agdal, il n’aurait pas de peine à nous retrouver.

Nous n’avons trouvé aucun moyen de gagner Tanger. Il faut rentrer dans la clandestinité et, pour cela, retourner à Oulja, où vit l’une des sœurs de Choukri, Rabi’a. Elle habite dans une baraque au toit de tôle ondulée, près du cimetière. Non seulement elle est brouillée avec Choukri, mais son fils, Tawhid, beau garçon et forte tête, ne peut pas souffrir la famille de ma mère. Ni l’un ni l’autre ne nous trahira.

Au Maroc, les nouvelles vont vite : le téléphone arabe a informé cette tante de nos fugues, de la séquestration organisée par Choukri, de notre sort lamentable chez les Azzouzi. Rabi’a ne porte pas non plus ces derniers dans son cœur ; il y a quelques années, elle s’est battue avec le Bouc et lui a décoché un magistral coup de talon sur le crâne, qui l’a étendu tout net et lui a laissé une belle cicatrice. Elle et son fils nous réservent un accueil affectueux.

— Je n’en peux plus de la famille de ma mère ! s’écrie Haquima. Regarde ce que m’a fait le Bouc, dit-elle en indiquant l’incisive manquante.

Rabi’a hoche la tête. Tawhid s’emporte :

— Si quelqu’un vous emmerde, famille ou pas, je vous protégerai !

Et il montre le poignard qu’il porte toujours à la ceinture. Il a eu maille à partir avec la police, nous le savons, et quand celle-ci était à ses trousses il s’est caché toute une nuit dans un puits. Comme ma sœur fait des yeux ronds, Tawhid renchérit :

— Comment peux-tu avoir peur de ce type ? Il ne peut même pas se battre contre une femme, tu l’as bien vu avec ma mère ! On ira le voir et je lui réglerai son compte !

Mais, par égard pour notre mère, ni ma sœur ni moi ne sommes disposées à aller administrer une rouste au Bouc ou à lui en faire donner une. Autant inviter Choukri à entrer dans la danse…

L’affection et la sécurité qui nous sont offertes nous font l’effet d’un baume. Pour la première fois depuis près de trois ans, quelqu’un de la famille nous protège vraiment, et personne ne nous traite de putes.

Hélas, le même instinct animal met fin à cette halte au bout de quinze jours : Choukri va bientôt arriver, et il sera informé que nous nous sommes réfugiées chez sa sœur. Force nous est de reprendre le maquis et de filer sans crier gare : mieux vaut que ni Rabi’a ni son fils ne sachent où nous allons. Aujourd’hui encore, je regrette ce départ brutal, qui semble ingrat.

Nous retournons donc à Agdal, où nous retrouvons notre maison à nous : la rue. Quelques-uns des garçons que nous avions quittés sont toujours là et se réjouissent de nous revoir.



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