L'Ombre Du Vent by Carlos Ruiz Zafon

L'Ombre Du Vent by Carlos Ruiz Zafon

Auteur:Carlos Ruiz Zafon [Zafon, Carlos Ruiz]
La langue: eng
Format: mobi, epub
Tags: Roman, Historique
Publié: 2011-06-26T18:03:17+00:00


17

Nous franchîmes un portail en bois pourri et débouchâmes dans une cour éclairée de lampes à gaz qui projetaient des taches sur des gargouilles et des anges de pierre rongée aux traits décomposés. Des marches conduisaient au premier étage, où un rectangle de clarté vaporeuse dessinait l'entrée principale de l'asile. La lumière qui émanait de cette ouverture teintait d'ocre le brouillard de miasmes qui s'échappait de l'intérieur. Une silhouette anguleuse et rapace nous observait de sous le porche. On pouvait distinguer dans la pénombre son regard perçant, de la même couleur que l'habit Elle portait un seau en bois qui fumait et répandait une puanteur indescriptible.

– Je-vous-salue-Marie-pleine-de-grâce-le-Seigneur-est-avec-vous ! clama Fermín avec enthousiasme et sans reprendre son souffle.

– Et la caisse, où est-elle ? répliqua d'en haut une voix de rogomme.

– Quelle caisse ? répondîmes-nous à l'unisson.

– Vous n'êtes pas des pompes funèbres ? s'enquit la bonne sœur d'un ton las.

Je me demandai si c'était un commentaire sur notre aspect ou s'il s'agissait seulement d'une question innocente. Le visage de Fermín s'illumina devant cette chance providentielle.

– La caisse est dans la fourgonnette. Nous voulions d'abord reconnaître le client. Simple problème technique.

Je sentis monter une nausée.

– Je croyais que M. Collbató viendrait lui-même, dit la sœur.

– M. Collbató vous prie de l'excuser, mais il a dû exécuter un embaumement de dernière minute très compliqué : un hercule de foire.

– Vous travaillez avec M. Collbató aux pompes funèbres ?

– Nous sommes respectivement son bras droit et son bras gauche. Wilfredo Velludo pour vous servir, et je vous présente mon apprenti, le jeune Sansón Carrasco.

– Enchanté, complétai-je.

La bonne sœur procéda à une inspection sommaire de nos personnes et acquiesça, indifférente à la paire d'épouvantails à moineaux qui se reflétait dans ses yeux.

– Bienvenue à Santa Lucia. Je suis sœur Hortensia, c'est moi qui ai appelé. Suivez-moi.

Nous suivîmes sœur Hortensia sans desserrer les dents le long d'un corridor caverneux dont l'odeur me rappela les tunnels du métro. Il était flanqué de cadres sans portes par lesquels on devinait des salles éclairées de bougies, occupées par des rangées de lits disposés contre les murs et surmontés de moustiquaires qui ondulaient comme des suaires. On entendait des gémissements venant de formes allongées derrière les rideaux.

– Par ici, indiqua sœur Hortensia qui nous précédait de quelques mètres.

Nous pénétrâmes sous une large voûte, et je n'eus pas de grands efforts à faire pour admettre que le décor du Tenebrarium était bien tel que me l'avait décrit Fermín. La pénombre voilait ce qui, à première vue, me parut être une collection de figures de cire, assises ou abandonnées dans des coins, avec des yeux morts et vitreux qui luisaient comme des monnaies de cuivre à la lueur des bougies. Je pensai qu'il s'agissait peut-être de mannequins ou de débris du vieux musée. Puis je m'aperçus qu'elles bougeaient, mais très lentement et en silence. Elles n'avaient ni âge ni sexe discernables. Leurs loques étaient couleur de cendre.

– M. Collbató nous a dit de ne toucher à rien et de ne pas nettoyer, précisa sœur Hortensia, comme si elle tenait à s'excuser.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.