Les scélérats by Dard Frédéric

Les scélérats by Dard Frédéric

Auteur:Dard, Frédéric [Dard, Frédéric]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier
Éditeur: Fleuve Noir (Éditions)
Publié: 1958-12-31T23:00:00+00:00


CHAPITRE XI

J’étais venue une fois à l’hôpital, lorsqu’Arthur avait eu sa fistule, et j’en avais gardé un souvenir pénible. Celui d’ici ressemble à une prison. Il y a des barreaux aux fenêtres, la façade est grise et les murs qui le cernent sont bien trop hauts pour un endroit de ce genre. Lorsqu’ils ont ouvert la porte de l’ambulance, je me suis littéralement jetée dehors, car cette course avait achevé de me briser les nerfs. L’orage se calmait. Quelques rafales de vent passaient encore, lourdes de pluie ; mais le ciel se dégageait déjà et de temps à autre la lune se montrait par une déchirure des nuages.

Des infirmiers ont fait coulisser la civière sur ses petits rails métalliques. Je me suis écartée pour leur laisser leur liberté de manœuvre et j’ai regardé disparaître le cortège dans le triste bâtiment. Je n’osais y entrer. Il me terrorisait. C’est le chauffeur de l’ambulance qui m’a prise en pitié.

— Hé ! Petite, restez pas là, entrez, vous grelottez !

Il disait vrai. De longs frissons me secouaient les épaules et mes dents s’entrechoquaient. J’ai gravi la rampe de ciment menant à la porte. Le hall de l’hôpital n’était éclairé que par deux ampoules bleutées. Les murs étaient ripolinés en vert pisseux. Une plante grasse s’étiolait dans un immense cache-pot offert sans doute par un malade reconnaissant. Des bancs de bois couraient d’une porte à l’autre. Je me suis assise et j’ai attendu, tâchant de mettre de l’ordre dans mes pensées ; mais de nouveau c’était le manège en moi ! Un manège échevelé, fou, détraqué avec – à la place des traditionnels chevaux de bois – tous les protagonistes de mon existence dans des poses ahurissantes :

Maman, avec son bec de lièvre violacé et la vieille pèlerine de grand-père ; Arthur devant sa télé, encourageant un catcheur ; Thelma, saoule sur son canapé ; Monsieur enfin, tenant un volant. Un volant sans voiture, si je puis dire. En toile de fond gravitaient d’autres personnages tels que le général américain et l’employé de gare au fanal… Des gens qui ne me concernaient pas mais qui pourtant prenaient une place dans ma mémoire.

Un temps assez long sans doute s’est écoulé. Il me semblait que l’hôpital était vide. Pourtant, à intervalles réguliers, une femme poussait un grand cri, mais dès qu’elle se taisait, une apathie totale s’abattait sur les locaux.

Une vieille religieuse a soudain débouché d’un couloir. Les ailes de son immense cornette battaient l’air comme celles de quelque gigantesque oiseau de mer tentant de prendre son vol. Elle portait des lunettes à monture de fer et tenait un petit tricot bleu serré sur la carapace amidonnée de sa robe. En m’apercevant, elle a semblé surprise.

— Vous attendez quelqu’un, mon enfant ?

Je n’attendais personne, j’attendais quelque chose : une réponse du destin.

— Je suis la domestique des gens qu’on vient d’amener, ma sœur.

Elle a hoché la tête.

— Vous vous trouviez dans l’auto ?

— Non, ma sœur…

Un silence. Une fois encore la femme invisible a poussé son hurlement déchirant dans la paix huileuse de l’hôpital.



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