La pelouse by Frédéric Dard

La pelouse by Frédéric Dard

Auteur:Frédéric Dard [Dard, Frédéric]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier thriller
Éditeur: 12-21
Publié: 2013-05-14T16:00:00+00:00


CHAPITRE XIII

J’ai regardé l’homme préposé au portillon. Il était petit, carré et ressemblait à un singe. Des touffes de poils jaillissaient de ses oreilles. Une grosse chaîne de montre en nickel était fixée à son revers de veste flétri.

– Donnez deux pennies ! m’a soufflé Marjorie.

Je me suis fouillé. J’ai posé deux pennies sur la tablette de cuivre et l’homme a appuyé sur la pédale qui libérait le portillon. Marjorie m’a poussé. J’aurais dû normalement m’effacer pour la laisser passer la première, mais j’ai obéi à sa pression et je suis entré. Les gradins étaient inégalement garnis. Nous avons pris la première travée qui s’offrait et je me suis trouvé assis auprès d’un vieil Écossais en kilt. Il s’agissait de quelqu’un de la bonne société, ses manières plus que sa tenue en répondaient. Il portait une veste courte, bien ajustée, une chemise blanche à jabot, un béret à ruban. Un « sporran » de cuir à fermoir d’argent ciselé pendant sur son ventre.

Je contemplais fixement le terre-plein, au bas de l’estrade, où la foule compacte des danseurs se trémoussait, sur l’estrade les vieux musiciens jouaient comme des automates et la musique qu’ils fabriquaient était une musique pour automates ! La dame du micro, avec sa jupe de rude drap, ses chaussettes et son corsage trop rempli, continuait de guider les entrechats des danseurs de ses cris gutturaux.

– Nous devrions aller à la police, Marjorie.

J’avais parlé très bas, elle a entendu pourtant. Sans me regarder, les yeux également braqués droit devant elle, Marjorie a répondu :

– Non. Folie !

– C’était de la légitime défense, ai-je repris du même ton plaintif, en proférant les mots du coin de la bouche.

– La police ne le croira pas.

– Qu’allons-nous faire ?

– Rien. À la fin du spectacle rentrez à votre hôtel, je vous appellerai dans la soirée. Comment s’appelle-t-il ?

– « Fort William’s Hotel ».

– Maintenant ne me parlez plus.

– Mais…

Elle s’est levée et a quitté notre travée, comme si elle trouvait sa place inconfortable. Je l’ai aperçue qui remontait les gradins. Elle a disparu parmi les spectateurs ravis qui applaudissaient la fin de la danse avec chaleur.

Jamais de ma vie je ne m’étais senti aussi abandonné.

La situation affreuse dans laquelle j’étais plongé me paraissait incroyable. Elle ressemblait à un délire d’ivrogne. Je tenais une fameuse cuite, mais les effets se dissiperaient : ils ne pouvaient pas ne pas se dissiper. Il est des réalités qu’on ne peut accepter et qu’on doit pouvoir anéantir à force de refus.

J’étais assis dans un théâtre de verdure aux côtés d’un vieux gentleman écossais en jupe, écoutant une mauvaise musique, regardant sauter des couples idiots. Et derrière le théâtre il y avait le cadavre d’un homme que je venais de tuer. La femme de cet homme regardait le même spectacle à quelques mètres de moi. Mes doigts sentaient la poudre. Tout se mettait à tourner dans mon esprit. Mes pensées formaient un carrousel d’images plus ou moins nettes. Je voyais le corps de Nevil, recroquevillé sur l’herbe. Je voyais la figure révulsée de Marjorie pendant qu’il tentait de l’étrangler.



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