Les royaumes Brisés by Robert Holdstock

Auteur:Robert Holdstock [Holdstock, Robert]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fantasy
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

20

La chasse du rêve

Je courus vers la rue, tirai la porte à moi et sortis dans la lumière implacable du soleil. La plus âgée des deux servantes avait trottiné à ma suite et repoussa la porte dans mon dos, m’enfermant au-dehors.

Presque aussitôt une foule surgit au coin et me pressa contre la maison.

C’étaient des enfants de tous âges, parés de guirlandes faites de fleurs, d’herbes grises et vertes et de feuilles, et tous vêtus d’une tunique vert pâle ou jaune vif, les garçons avec le visage peint d’un bleu azur, les filles d’un rouge écarlate. Leur torrent turbulent s’écoula devant moi, strident et insensible. Puis vint le cri derrière eux et toute la foule se retourna à l’unisson, comme un banc de poissons qui vire soudainement, et ils se mirent à rebrousser chemin au pas de course. Alors une corne résonna ailleurs, et une nouvelle fois ils firent volte-face dans un ensemble parfait, comme un seul esprit guidé par un seul but, une ruée ayant valeur de louanges.

Et parmi eux je distinguai alors un visage non peint, à la chevelure bien connue. Niiv était petite et nombre d’enfants étaient plus grands qu’elle, mais ses traits restaient aussi lumineux et reconnaissables qu’une comète dans les cieux. Je plongeai en avant dans la foule qui courait, me frayai un chemin à travers la houle des corps qui se bousculaient dans leur hâte avant de bifurquer dans une rue plus étroite pour suivre l’appel de la corne.

Je réussis à agripper Niiv par une épaule. Elle se retourna, effrayée et furieuse à la fois. Ses prunelles exprimaient une extase intense. Elle me regarda fixement, sans me reconnaître tant elle était emportée par cette vague de folie collective. Je ne la lâchai pas, malgré ses cris et ses efforts pour se dégager, et enfin les derniers enfants s’éloignèrent. Le silence revint dans la rue.

Son regard reprit contact avec la réalité. La transe se dissipa. Elle vint doucement se nicher au creux de mes bras et posa son visage contre ma poitrine.

— C’était tellement étrange, Merlin ! Tellement étrange…

— Qu’as-tu fait ? murmurai-je. Que t’es-tu laissée aller à faire, cette fois ?

— Étrange ! Tellement étrange ! répéta-t-elle en me serrant amoureusement, son regard plongé dans le mien.

Elle tenta de m’embrasser. J’eus un mouvement de recul. Son étreinte se durcit, puis sa main s’éleva vers ma joue et approcha de force mon visage du sien. Elle était toute sauvagerie pantelante. Sa respiration de chat faisait vibrer sa langue et ses lèvres, et elle frissonna pendant un moment, obtint enfin le baiser désiré pour connaître cet instant ahurissant d’urgence. Avant que je ne la plaque contre le mur de la maison.

Alors elle gronda, se laissa glisser en position accroupie. Elle était en colère et déçue, et m’épiait d’un regard qui pouvait signifier : « Je t’aurai », ou bien : « Comment oses-tu ! »

Une fois encore, je vins à son secours et la remis doucement debout.

— Parle-moi de cette étrangeté. Qu’est-ce qui était étrange ?

Radoucie, elle revint se blottir contre moi et posa de nouveau la tête sur ma poitrine.

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