Les prénoms épicènes by Amélie Nothomb

Les prénoms épicènes by Amélie Nothomb

Auteur:Amélie Nothomb [Nothomb Amélie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Quand arriva enfin la réunion parents-professeurs de l’année scolaire 1987-1988, Dominique était tendue comme s’il y allait de sa vie. Elle repéra aussitôt madame Cléry dans la file de la professeure de latin et dépassa sans vergogne les autres pour la rejoindre.

– Bonjour, madame.

– Bonjour. Oui, vous êtes la mère de – attendez – Ophélie ?

– Non, Épicène.

– Mais oui, Épicène. Comment allez-vous ?

– Je suis préoccupée, dit Dominique, qui n’avait rien laissé au hasard. Épicène me donne du fil à retordre.

– À qui le dites-vous ! Mes filles ont des notes déplorables.

– La mienne est la première de la classe. C’est sa personnalité qui m’inquiète.

– Elle a treize ans, n’est-ce pas ? Ne vous étonnez de rien.

– Je vous assure, ce n’est pas une puberté ordinaire. C’est comme si Épicène était à peine vivante.

– Anorexie ?

– Non, ce n’est pas cela. Elle n’a pas d’ami, aucune vitalité. J’appréhende ce que me dira madame Caracala.

– Votre fille est mauvaise en latin ?

– Non, elle y excelle. Mais madame Caracala m’a déjà téléphoné pour me dire son inquiétude.

– De quoi elle se mêle, celle-là ?

– Hélas, je crois qu’elle a raison, dit Dominique, si empressée de convaincre son interlocutrice qu’elle en eut les larmes aux yeux.

Madame Cléry sembla émue de cette fragilité :

– Voulez-vous que je vous attende ?

– Oh, ce serait tellement gentil à vous, dit celle qui n’eut alors aucun effort à faire pour paraître bouleversée.

Quand vint son tour, elle entra dans la classe qui servait ce jour-là de confessionnal à madame Caracala.

– Bonjour, madame. Je suis la mère d’Épicène Guillaume.

– Je l’aurais parié, dit l’imposante Caracala d’une voix comminatoire.

– Me ressemble-t-elle tant que cela ?

– Non, elle ne vous ressemble pas du tout. Mais il suffit d’un regard pour savoir que vous consacrez beaucoup plus de temps à votre garde-robe qu’à votre fille.

Interdite, Dominique découvrit qu’un mensonge ingénu a toujours valeur de prophétie.

– Pardon ?

– Épicène est une adolescente extrêmement brillante, l’une des meilleures élèves que j’aie eues. Et vous la laissez dans une situation de détresse psychologique profonde.

– Qu’est-ce qui ne va pas ?

– Votre fille est totalement repliée sur elle-même, elle n’adresse la parole à personne et ne semble s’intéresser à rien. Durant les cours, elle n’intervient que si on la sollicite, et on constate alors qu’elle est d’une intelligence stupéfiante.

– Oui, elle est timide.

– Non, elle n’est pas timide. Cela ne s’appelle pas de la timidité, cela, madame. Cela s’appelle de la souffrance. Et vous, pendant ce temps, vous courez les boutiques de mode.

Dominique éclata en sanglots.

– Il est bien temps de pleurer, fit l’énorme Caracala avec écœurement. Au revoir, madame, je n’ai plus rien à vous dire.

La malheureuse sortit de la salle en dissimulant ses larmes comme elle le pouvait. Madame Cléry, qui l’attendait, la prit aussitôt par le bras pour la soustraire aux regards des curieux. Dominique lui raconta l’accueil affreux que lui avait réservé la professeure de latin.

– Quel monstre, cette femme ! s’écria madame Cléry. Évidemment, elle, on ne risque pas de la croiser dans les boutiques de mode, où il n’existe pas de vêtements à sa taille.



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