les lépreuses by Montherlant Henry de

les lépreuses by Montherlant Henry de

Auteur:Montherlant,Henry de [Montherlant,Henry de]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782070361991
Éditeur: AlexandriZ
Publié: 1939-01-17T23:00:00+00:00


16

Il la rencontrait tous les dimanches soir, dans le train, quand elle revenait de chez la tante Charlotte. Un jour il lui avait dit qui il était, et que depuis longtemps il l’avait remarquée. Il avait sollicité la permission de lui écrire, l’avait reconduite à la porte de sa maison. Il lui avait écrit, plusieurs fois. Elle avait trouvé qu’il écrivait bien ; ses lettres l’enchantaient. L’enchantement tombait quand elle le voyait, chaque dimanche soir : son « rêve » était tellement plus beau, de loin ! Enfin il l’avait demandée. Sa demande était centrée moins sur lui-même que sur certain pavillon exquis, du XVIIIe siècle, qui justement allait être libre… C’était ce pavillon qui avait emporté l’affaire. Ce soir-là, dans le train, il s’était assis à côté d’elle, alors que sa place habituelle était sur la banquette d’en face. Après s’être enquis si le geste lui déplairait, il l’avait baisée sur le front. Elle n’avait rien ressenti, mais ce qui s’appelle rien, et n’avait pas bronché. « Ne m’embrasserez-vous pas ? » avait-il demandé, les traits un peu contraints. Elle avait tourné son visage, l’avait rapproché, – et puis, quand il avait fallu sauter le pas, elle n’avait pas pu : son visage s’était détourné. Ses mains étaient inertes sur ses genoux, comme des bêtes sous-marines, et elle s’était mise à pleurer (elle n’avait pas le pleur difficile).

Quand Mme Dandillot se souvenait de cette scène, elle pensait toujours qu’à ce moment M. Dandillot « était devenu très pâle ». N’exagérons rien : M. Dandillot avait seulement eu l’air qu’ont les messieurs dans une telle circonstance. Il avait repris brusquement sa place d’autrefois, sur la banquette d’en face. Il avait dit quelques paroles banales. Ils s’étaient séparés. Le lendemain il lui écrivait : « J’ai compris, vous ne m’aimez pas », et il retirait sa demande. Là-dessus elle pleura de plus belle : elle s’imaginait qu’elle avait été heureuse. Ce n’était pas cet homme qui lui manquait, c’étaient ses lettres, – si caressantes et si respectueuses ! Elle n’avait pas besoin de lui ; elle avait besoin d’attendre les courriers. La déception avait passé par deux phases, aussi classiques l’une que l’autre : une première phase pendant laquelle Mme Dandillot avait fait des vers, et une seconde phase pendant laquelle elle avait fait du christianisme. Le jour qu’elle parla d’entrer au couvent, son père courut chez les Dandillot. D’abord Charles Dandillot se guinda : il n’aimait pas les pimbêches, et sa velléité était tombée. Mais les écus de la sotte fleuraient bon, et quelques semaines plus tard il y avait un « couple éternel » de plus. Nénette et Rintintin for ever.

Sa jeunesse escamotée, et sa vie de femme où il n’y avait rien eu. Mais combien notre amour nous nourrit ! Une vie où il n’y a « rien eu », s’il y a eu dedans l’amour de l’être pour ses enfants, il suffit, cette vie est à ses yeux remplie et justifiée. L’être ne l’éprouve jamais mieux qu’à l’heure cruciale, devant la mort.



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