La panthère des neiges by Tesson Sylvain

La panthère des neiges by Tesson Sylvain

Auteur:Tesson,Sylvain [Tesson,Sylvain]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction, General
ISBN: 9782072822353
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2019-10-08T22:00:00+00:00


Les trois enfants étaient secs comme des cravaches. La nervosité les protégeait des températures négatives. Gompa, six ans, et ses deux grandes sœurs, Jisso et Djia aux yeux fendus et aux dents blanches, conduisaient les bêtes dans les alpages à l’aube et les ramenaient au campement le soir. Ils passaient la journée dans les rafales à courir le massif, pilotant des animaux six fois plus volumineux qu’eux. Ils avaient vu la panthère au moins une fois dans leur vie de dix ans. En tibétain, panthère des neiges se dit Saâ, et les mômes prenaient soin de lancer le mot très fort, comme une interjection, avec force grimaces et les index ramenés devant la bouche pour figurer les crocs. Le genre d’enfants qu’on n’endort pas avec les contes de Perrault. Parfois, dans une vallée du haut Mékong, la panthère raflait un petit enfant, nous avait dit le père.

Tougê, chef de famille, âgé de cinquante ans, nous attribua la plus petite des bâtisses. Les conditions d’un luxe précis y étaient rassemblées : la porte s’ouvrait sur des falaises où rôdaient les bêtes. Les chiens nous avaient adoptés, un poêle chauffait la pièce. Devant le camp, l’eau de la rivière coulait une heure par jour, au soleil le plus chaud. Parfois, les enfants nous rendaient visite. Heures de froid, de silence et de solitude, paysage immuable, ciel de pierre, ordre minéral et températures négatives : jours promis à la stabilité. Nous connaissions notre chance.

Nos heures s’équilibrèrent alors entre les marches forcées et les heures d’hibernation.

Le soir, nous rendions visite à la famille dans la baraque voisine. Derrière la porte de bois régnait une tiédeur obscure. La mère barattait le thé au beurre, rythmant le silence. Au Tibet, les pièces familiales sont des ventres chauds où racheter les jours de grésil. Un chat dormait, recelant dans ses veines le gène dilué de la panthère : pour avoir choisi de ronfler au chaud, il ne connaîtrait plus la jouissance de saigner un yack. Son lointain parent, le lynx, continuait à vivre dehors, préférant la tourmente à la torpeur. Un bouddha dans ses dorures chatoyait à la lueur des lampes à huile et le bourdonnement de l’air nous engourdissait suffisamment pour que nous supportions de nous regarder les uns les autres sans prononcer un mot. Nous ne désirions rien. Bouddha avait gagné : son nihilisme infusait l’engourdissement. Le père égrainait son chapelet. Le temps passait. Le silence était la marque de notre dévotion à son égard.

Le matin, nous prenions le chemin du canyon. Munier nous postait sur un banc de rocher ou au sommet d’une crête, par-dessus le défilé. Parfois, nous nous séparions en deux groupes, Munier emmenait Marie dans un repli voisin. Dans le lointain, le Mékong tressait des chevelures blanches. Nous attendions qu’apparaisse celle pour qui nous étions venus, la panthère des neiges, « once » de son nom scientifique, l’impératrice qui avait fait allégeance à ce canyon et dont nous venions admirer les apparitions publiques.



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