Les hauts murs by Le Breton Auguste

Auteur:Le Breton, Auguste [Le Breton, Auguste]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française, Adapté au cinéma
Éditeur: Tom310 - TAZ
Publié: 2011-04-11T22:00:00+00:00

Au réfectoire, Blondeau, l’air renfrogné, posa un couteau neuf près de la gamelle de Tréguier, puis servit la soupe sans ouvrir la bouche.

— Merci beaucoup, fit le nouveau. Il est joli ton couteau. Merci d’avoir pensé à moi.

Blondeau, gardant son air buté, évita de répondre. Surpris, peiné par ce silence, Tréguier avança timidement sa main boursouflée, noire d’huile séchée et dit :

— Ils m’ont joué un sale tour. C’est…

— … Le Rouquin ! trancha Blondeau. Il t’a fait le coup du tube.

— J’ai marché… J’ pouvais pas savoir. Tu m’en veux pour ça ?

Blondeau se contenta de laper sa gamelle. Tréguier, désorienté par son profil de dogue mécontent, insista :

— J’ sais que j’ suis bête ; j’ suis tombé dans le panneau. Mais tu devrais pas m’ garder rancune…

Blondeau reposa sa gamelle, la torcha d’un bout de pain, qu’il s’expédia dans la bouche d’un claquement du pouce.

— Toi qu’as tout vu, explique-lui, implora Tréguier, allongeant sa paume brûlée vers Frigo.

Frigo ne daigna pas lever le nez ; de sa cuillère, il continuait à touiller des cubes de pain dans sa soupe incolore. Dérouté par cette sourde hostilité, Tréguier cherchait un appui autour de la table. Il ne vit que des visages penchés sur leur pitance. Il se raccrocha à Blondeau :

— Ainsi, vous m’en voulez de m’être laissé avoir ? C’est pour ça ?

Blondeau feignit de s’intéresser au plat que venait d’apporter le Noiraud, un de la table à Molina. D’un poignet nerveux, il détacha de la louche des portions de riz qu’il plaqua littéralement dans les assiettes. Tréguier, de sa fourchette, égalisa le tas grisâtre ornant sa gamelle, puis, sentant une boule lui bloquer l’estomac, d’un geste vif repoussa son assiette.

— Ton protégé s’emballe, Louis, grinça Frigo. Mais pas quand y faut…

Sans comprendre, Tréguier se souleva à demi, étreint par une colère.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? J’ t’ai fait quelque chose ?

Frigo le poignarda d’un œil méprisant :

— Oh ! moi, rien !… J’ m’en fous de toi !… Tu piges ?

Tréguier fit une volte-face. La Tomate le tiraillait par son bourgeron pour l’obliger à se rasseoir.

— T’excite pas ! expliqua-t-il, devant sa figure rouge de dépit. Y t’expliqueront rien. Mais si tu devines pas de quoi il retourne, tu peux t’ vanter d’être simplet !

— J’ vois pas, en effet…

— Eh bien, tu t’es laissé couillonner par le Rouquin, c’est des choses qu’arrivent. C’est pas pour ça qu’y t’en veulent. Non. C’est pour un autre truc…

— Quel truc ?

— Paraît que le Rouquin t’a traité comme une lope… Et que par peur des jetons, t’as répété tout ce qu’il a voulu… C’est pas vrai ? Même que tu t’ serais foutu à genoux s’il avait insisté.

Cette fois, Tréguier comprenait les raisons de leur mauvaise humeur. Ravalant son chagrin, il ramena à lui sa gamelle et, silencieusement, engloutit sa pâte à colle. Quand il eut fini, il essuya le cadeau de Blondeau sur son pantalon, le plaça à côté du quart de l’adolescent et, sans oser lever les yeux :

— Reprends-le.

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