Les forces de la nuit by Barbara Hambly

Auteur:Barbara Hambly [Hambly, Barbara]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fantasy
ISBN: 9782070320042
Éditeur: Folio SF
Publié: 1981-12-31T23:00:00+00:00

La caserne des gardes, à la lisière de la ville, avait autrefois été l’étable d’une grande villa. Pour l’œil exercé de Gil, les armoiries compliquées à l’excès qui ornaient la grille et les embrasures des fenêtres sentaient l’énorme complexe d’infériorité d’un parvenu. Dans la froide lumière de l’après-midi, encore endolorie par la fatigue et les derniers assauts du mal, elle pouvait voir une grande partie de la cour depuis sa couche rugueuse de foin et de manteaux.

La lumière du jour n’était pas clémente pour les lieux. Le hangar qui s’appuyait sur trois côtés du mur entourant la cour avait été hâtivement transformé en baraquement et les cottes de mailles, les armes et la literie de quelque soixante-dix gardes étaient entassées péle-mêle parmi les balles de fourrage. La boue au milieu de la cour était visqueuse et nauséabonde. Dans un coin, près d’une fontaine, quelqu’un faisait cuire de la farine d’avoine, et la fumée chassée par le vent irritait les yeux de Gil. Sur le terrain bourbeux, une trentaine de gardes s’entraînaient, crottés jusqu’aux sourcils.

Mais ils étaient habiles. Même pour quelqu’un d’aussi inexpérimenté que Gil, leur rapidité et leur équilibre crevaient les yeux ; c’étaient des guerriers professionnels, un corps d’élite. Étendue là presque toute la journée, elle les avait vus revenir une fois leur service fini. Tous avaient combattu la nuit précédente et comme elle, ils en portaient les traces. Elle avait remarqué, dans la confusion de la veille, qu’il y avait très peu de gardes parmi les morts, et maintenant elle en comprenait la raison : on les formait à acquérir assez de vitesse, de vigueur et de réflexes inconscients pour que le mouvement frapper-esquiver-parer d’attaque et de défense devienne aussi automatique que le fait de secouer le doigt quand on s’est brûlé. Ils s’entraînaient avec des lames de bois, comme les shinai japonais, des armes qui ne pouvaient ni couper ni mutiler, mais laissaient d’impressionnantes meurtrissures – personne ne portait d’armure et il n’y avait pas ici un seul bouclier. Gil les observait avec le respect craintif issu d’une première lueur de compréhension.

« Qu’en penses-tu ? » demanda une voix froide. Elle leva la tête et vit le Faucon-de-Glace debout à côté d’elle, indistinct dans l’ombre fuligineuse.

« De quoi ? » Elle désigna les silhouettes en mouvement et les lames de bois se heurtant avec des claquements sourds. Il acquiesça en fixant sur elle ses yeux pâles et hautains. « Vous en avez besoin pour devenir parfaits, n’est-ce pas ? » dit-elle en observant les mouvements rapides et gracieux des guerriers qui ressemblaient presque à une danse. « Et ça l’est. Parfait. »

Le Faucon-de-Glace haussa les épaules, mais une étincelle de réflexion se fit jour dans les profondeurs argentées de ses yeux. « Si tu ne peux porter qu’un seul coup, fit-il remarquer, il vaut mieux qu’il soit parfait. Comment va ton bras ? »

Elle secoua la tête avec lassitude, refusant de songer à la souffrance. « C’était stupide », dit-elle. Les bandages souillés et brunâtres apparaissaient sous la manche déchirée de sa chemise qui avait appartenu à un cadavre.

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