Les Enfants de Darwin by Greg Bear

Auteur:Greg Bear [Bear, Greg]
La langue: fra
Format: epub
Tags: non lu, Science Fiction
ISBN: 2253119288
Éditeur: Alexandriz
Publié: 2003-01-05T15:00:55+00:00

10.

Arizona

Stella se réveilla au son d’un concours de chant dédoublé opposant deux baraquements. La sonnerie du réveil n’avait pas encore retenti. Elle roula sur elle-même entre les draps rêches de la couche supérieure et considéra les dalles du faux plafond. Ce genre d’événement lui était familier : quelques douzaines de garçons et de filles, accoudés aux fenêtres de leurs dortoirs, se lançaient des vocalises par-dessus les barbelés. Le premier niveau était bruyant, quasiment dénué de ligne mélodique, le second plus subtil et difficile à percevoir de l’endroit où elle se trouvait. Nul doute cependant qu’il servait de support à quantité de ragots matinaux.

Elle ferma les yeux quelques instants et tendit l’oreille. Les chanteurs avaient tendance à se lancer dans des lamentations doucereuses à faire trembler le ciel, jouant avec les sonorités des deux côtés de leur langue et faisant circuler l’air en même temps par le nez et la gorge. Les deux chants se servaient mutuellement de contrepoint, sinuant l’un autour de l’autre afin d’empêcher les conseillers de comprendre leur contenu.

Non que ceux-ci aient jamais appris à interpréter le discours dédoublé.

Stella entendit un bruit de casserole. Elle ferma les yeux et sourit. Impossible de ne pas visualiser la scène : les conseillers faisaient le tour des baraquements en cognant sur les poubelles et en ordonnant aux enfants de la fermer. Peu à peu, le chant s’estompa comme un parfum fragile. Stella vit en esprit les têtes disparaissant des fenêtres, les enfants filant se planquer sous les draps.

Demain, ce serait au tour d’autres dortoirs. Les paris étaient ouverts en permanence : combien de temps faudrait-il aux conseillers pour repérer les coupables et pour se rendre sur les lieux ? Le dortoir de Stella participerait peut-être à la fête, se retrouvant assailli par ces bruits de casserole. Elle serait obligée de chanter, ce qui ne l’enthousiasmait guère. Sa voix était claire et limpide, mais elle ne maîtrisait pas très bien le discours dédoublé. Les autres étaient bien plus douées qu’elle.

Le silence reprit ses droits. Elle se blottit sous les couvertures, attendant que sonne la cloche. On avait placé des uniformes propres à l’intention des enfants. Ceux-ci occupaient des lits superposés par trois et devaient se doucher et se changer chaque matin, afin d’empêcher leur corps et leurs vêtements d’accumuler les odeurs.

Stella savait que son odeur naturelle était parfaitement tolérable. Mais les conseillers redoutaient sa force de persuasion.

Au-dessous d’elle, Celia et Mandy commençaient à s’agiter. Stella préférait être parmi les premières à se doucher. La cloche sonna alors qu’elle se précipitait vers les douches. Son peignoir blanc claqua au niveau de ses cuisses.

Elles avaient droit chaque jour à une brosse à dents neuve et à une serviette propre. Stella prit les siennes, se dispensant toutefois de dentifrice. Celui-ci avait une odeur persistante qu’elle soupçonnait d’être conçue pour les désorienter. Plantée devant le lavabo tout en longueur surmonté d’un miroir, elle fit passer la brosse sur ses dents, puis se massa les gencives avec l’index, comme Mitch le lui avait appris une dizaine d’années auparavant.

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