Le voyageur imprudent by René Barjavel

Le voyageur imprudent by René Barjavel

Auteur:René Barjavel [Barjavel, René]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: Science fiction, Roman
Éditeur: Omnibus
Publié: 2010-11-27T23:00:00+00:00


Suite du rapport de Saint-Menoux

En deux mois de notre temps ordinaire, j’ai traversé trente fois mille siècles, et suis trente fois revenu de cet avenir. Le vibreur m’a permis de me mêler sans danger à la vie de nos descendants. J’ai accumulé les observations. Il me convient aujourd’hui d’en faire la synthèse.

Au cours d’un certain nombre de voyages qui précédèrent ma première exploration en l’an 100000, j’avais pu suivre le début de l’évolution subie par l’humanité à partir de l’an 2052. Cette année-là, l’énergie que nous nommons l’électricité disparut[2]. Ce fut une catastrophe. Neuf hommes sur dix moururent. Cela se fit beaucoup plus vite et plus efficacement qu’au cours des guerres les plus perfectionnées.

Les survivants, je pus bientôt m’en assurer, disposèrent d’une force nouvelle, issue de leur cerveau. Peut-être l’électricité n’avait-elle fait que se transformer. Certains indices m’inclinent pourtant à croire que l’énergie nouvelle existe déjà de nos jours. Mais nous ignorons son existence et négligeons de la découvrir : la puissance de nos machines nous suffit.

Tous les êtres humains, après 2052, furent plus ou moins doués de cette force. Mais peu d’entre eux surent en tirer parti. Le premier qui l’utilisa volontairement et rationnellement fut un paysan nommé Fortuné qui trouvait les travaux des champs pénibles. Il parvint à se faire obéir au premier mot, puis sans parler, non seulement des hommes, mais des animaux, enfin des choses. Les outils dont il avait besoin arrivaient dans sa main. Bientôt il n’appela plus les outils, mais seulement sa pipe ou la cruche. Il demeurait sur son banc, au soleil. Vingt hommes travaillaient pour lui. Il asservit tout le village, et prit du ventre.

Ceci se passait vers l’an 3110. Le roi Honoré III, quarante-cinquième successeur du patriarche François, fit comparaître devant lui Fortuné et le condamna à être brûlé vif. Fortuné surgit souriant des cendres du bûcher. Le peuple qui lui avait craché dessus l’acclama, fit subir à Honoré le poids de sa colère, et installa sur le trône le miraculé.

Le nouveau souverain était un bon vivant. Il voulut faire le bonheur de ses sujets. De tous ses sujets, sans injustice. Il commença par rechercher quelques cerveaux puissants, constitua par leur réunion une sorte d’accumulateur d’énergie mentale. Cet organisme portait dans la langue de l’époque le nom de bren-treuste. Les hommes de cerveau faible, c’est-à-dire la multitude, subirent sa volonté. Il commanda au roi lui-même et l’absorba. Il devint le maître de l’humanité.

Dès cet instant, les hommes qui le composaient perdirent leur individualité. Ils ne purent profiter de leur toute-puissance. Leur volonté commune, tendue vers le bonheur de leurs semblables et qui dirigeait inexorablement ceux-ci vers une étrange félicité obligatoire, les ployait eux-mêmes sous sa loi. Ils devinrent malgré eux les serviteurs de la cité qu’ils commandaient. Leur nombre augmenta, leur puissance collective s’accrut prodigieusement. Leur pouvoir personnel était nul. La force qui émanait d’eux semblait vivre une vie propre. Les principes de justice et de bonheur social, pensés de façon exacte par les cerveaux des hommes, se libéraient de l’autorité humaine qui n’avait jamais su les appliquer.



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