Le petit matin by Christine de Rivoyre

Le petit matin by Christine de Rivoyre

Auteur:Christine de Rivoyre [Rivoyre, Christine de]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 2017-06-29T22:00:00+00:00


Trois jours et trois nuits, ils avaient marché trois jours et trois nuits à se dire l'Angleterre est au bout. Le premier jour, pendant une halte, Vincent avait dormi et rêvé d'une île qui s'avançait vers eux, verdoyante, paterne. Maintenant, debout devant la cheminée de son château, il étalait sur le vide une carte imaginaire, traçait de l'index l'itinéraire de l'expédition, il disait aussi notre aventure (quelle bouche il ouvrait sur l'a d'aventure) et je regardais, j'écoutais les noms propres qu'il énumérait avec l'aisance d'un conférencier. La vallée des. Le plateau du. Le pas de la. De nouveau une vallée et des pas et un pic, j'ai oublié tous ces noms, ma mémoire, d'habitude si vorace, les a rejetés. De mon tabouret de piano, j'assistais à leur âventure, je les voyais marcher, escalader, dépasser, franchir, descendre, encore escalader, re-franchir, mais leur montagne, je ne la sentais pas, je ne la touchais pas, elle n'était pas vivante, elle demeurait abstraite, un tableau, une carte en tous points semblable à celles que déployait sœur Marie-Emilienne pour m'enseigner la géographie. Son relief, gouffres, sommets neigeux, chemins caillouteux, sentiers de chèvres, rochers, tout ça, je le traduisais en pointillés plus ou moins denses, plus ou moins bruns au bas de la France, cafetière d'un rose orangé. Et pourtant Vincent n'omettait aucun détail, il racontait le temps aussi précisément que le lieu, la température. La seconde nuit, il avait fait moins dix et ils avaient crevé, vraiment crevé de froid dans une cabane de bergers, ils avaient tenté d'allumer un feu mais tout était si humide, les branches, les broussailles qu'ils avaient ramassées en claquant des dents, peine perdue, ils n'avaient obtenu qu'une méchante fumée, alors ils s'étaient couchés, bien serrés les uns contre les autres sur le sol de terre battue. Pour m'expliquer, Vincent se jeta sur le divan, se serra contre Jean. Sa tête noire sur la chemise bleue, près, près, tout près du cou de Jean, et les chiens l'imitaient. Leurs museaux pointus, leurs fourrures mordorées parmi les jambes des garçons.

– Ça ne puait pas trop ?

Calme, calme ma voix. Je voulais un renseignement supplémentaire, rien d'autre, je le jure. A leur montagne, je n'avais prêté ni vie ni odeurs. La cabane de bergers, en revanche, son sol de terre noire, ses murs suintants d'humidité, et ces hommes entassés, leurs corps, leurs haleines. Et la tête noire, la chemise bleue, le cou. Et le pantalon blanc emprunté, la ceinture en peau de porc que je ne connaissais pas, un cadeau ? Et les chiens, roulant sur le dos, offrant leurs ventres blancs aux caresses, ça ne puait pas trop ? Ça ne puait pas trop ?

– Nina, qu'est-ce que tu as ? dit Jean.

– Vous ne vous sentez pas bien ? dit Vincent.



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