Le mur by Jean-Paul Sartre

Le mur by Jean-Paul Sartre

Auteur:Jean-Paul Sartre
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2017-04-14T16:00:00+00:00


– Qui est là ? demanda Henri à travers la porte.

– C'est moi.

Il ne répond rien, il ne veut pas me laisser rentrer chez moi. Mais je taperai sur la porte jusqu'à ce qu'il ouvre, il cédera à cause des voisins. Au bout d'une minute la porte s'entrebâilla et Henri apparut, blafard avec un bouton sur le nez ; il était en pyjama. « Il n'a pas dormi », pensa Lulu avec tendresse.

– Je ne voulais pas partir comme ça ; je voulais te revoir.

Henri ne disait toujours rien. Lulu entra en le poussant un peu. Qu'il est donc emprunté, on le trouve toujours sur son passage, il me regarde avec des yeux ronds, il a les bras ballants, il ne sait que faire de son corps. Tais-toi, va, tais-toi, je vois bien que tu es ému et que tu ne peux pas parler. Il faisait effort pour avaler sa salive, et ce fut Lulu qui dut fermer la porte.

– Je veux qu'on se quitte bons amis, dit-elle.

Il ouvrit la bouche comme s'il voulait parler, tourna précipitamment sur lui-même et s'enfuit. Qu'est-ce qu'il fait ? Elle n'osait le suivre. Est-ce qu'il pleure ? Elle l'entendit soudain tousser : il est aux cabinets. Quand il revint, elle se pendit à son cou et colla sa bouche contre la sienne : il sentait le vomi. Lulu éclata en sanglots :

– J'ai froid, dit Henri.

– Couchons-nous, proposa-t-elle en pleurant, je peux rester jusqu'à demain matin.

Ils se couchèrent, et Lulu fut secouée d'énormes sanglots parce qu'elle retrouvait sa chambre et son beau lit propre et la lueur rouge dans la vitre. Elle pensait que Henri la prendrait dans ses bras, mais il n'en fit rien : il était couché tout de son long, comme si on avait mis un piquet dans le lit. Il est aussi raide que quand il parle avec un Suisse. Elle lui prit la tête à deux mains et le regarda fixement. « Tu es pur, toi, tu es pur. » Il se mit à pleurer.

– Que je suis malheureux, dit-il, je n'ai jamais été aussi malheureux.

– Moi non plus, dit Lulu.

Ils pleurèrent longtemps. Au bout d'un moment, elle éteignit et mit la tête sur son épaule. Si on pouvait rester comme ça toujours : purs et tristes comme deux orphelins ; mais ça n'est pas possible, ça n'arrive pas dans la vie. La vie était une énorme vague qui allait fondre sur Lulu et l'arracher aux bras de Henri. Ta main, ta grande main. Il en est fier parce qu'elles sont grandes, il dit que les descendants de vieille famille ont toujours de grandes extrémités. Il ne me prendra plus la taille entre ses mains – il me chatouillait un peu mais j'étais fière parce qu'il pouvait presque joindre ses doigts. Ce n'est pas vrai qu'il est impuissant, il est pur, pur – et un peu paresseux. Elle sourit à travers ses larmes et l'embrassa sous le menton.

– Qu'est-ce que je vais dire, à mes parents ? fit Henri. Ma mère en mourra.



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