Le monde du silence by Jacques-Yves Cousteau

Le monde du silence by Jacques-Yves Cousteau

Auteur:Jacques-Yves Cousteau [Cousteau, Jacques-Yves]
La langue: fra
Format: epub
Tags: jeunesse
Éditeur: Idéal bibliothèque
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


CHAPITRE VII

PAR CINQUANTE BRASSES

L’IVRESSE des grandes profondeurs continuait à nous tracasser l’esprit. Nous sentions qu’il y avait là un défi à relever ; nous pouvions et devions descendre plus bas. Depuis la plongée record de Didi en 1943, nous en étions convaincus, aussi le Groupe avait-il soigneusement accumulé toute la documentation concernant la fameuse « narcose ». Mais notre connaissance des effets de cette ivresse des grandes profondeurs restait avant tout théorique ; nous n’avions pas encore entrepris des expériences directes, systématiques. Aussi, durant tout l’été 1947 nous sommes-nous préparés à effectuer une série de plongées très profondes.

Ici, je tiens à souligner que notre but n’était pas de battre des records, bien que nos tentatives eussent abouti à ce résultat. Nous nous sommes toujours préoccupés d’abord de revenir vivants de nos plongées. Didi lui-même, le plus hardi de nous tous, n’a rien d’une tête brûlée. Si nous sommes descendus de plus en plus bas, c’est qu’il n’y avait pas d’autre façon d’étudier au cœur même du milieu marin les effets de l’ivresse des profondeurs et de déterminer la limite d’utilisation du scaphandre autonome. Nos expériences furent donc préparées minutieusement, contrôlées soigneusement. Jusque-là, aucun plongeur libre n’était encore descendu au-delà des soixante-deux mètres de Dumas.

Les profondeurs furent mesurées au moyen d’un cordage fortement lesté, filé de la plage arrière de l’aviso Elie-Monnier, et portant tous les cinq mètres une planchette peinte en blanc. Les plongeurs, munis de crayons indélébiles, devaient signer sur la dernière planchette atteinte, et y écrire si possible une phrase simple. Afin d’éviter toute fatigue inutile à la descente, les plongeurs emportaient un morceau de ferraille pesant environ 5 kilos. Pour freiner ou interrompre leur descente il leur suffisait de s’accrocher à la corde. Parvenus à la plus grande profondeur qu’ils pouvaient raisonnablement atteindre, les plongeurs signaient sur la planchette la plus proche, lâchaient leur lest et revenaient à la surface le long de la ligne. À la remontée, pour éviter les « bends », à six mètres puis à trois mètres, on leur imposait un court palier de décompression. Une première fois, tous les plongeurs du G.R.S. atteignirent l’extrémité d’une corde de soixante-cinq mètres. Puis, nous préparâmes une descente à quatre-vingt-dix mètres. Je me sentais pour cette tentative en excellente condition physique, bien entraîné par une période de plusieurs mois d’activités sous-marines, mes oreilles parfaitement accoutumées à la pression.

Au jour choisi, j’entre dans l’eau tenant mon lest dans la main gauche et je me laisse glisser rapidement vers le bas, debout, le bras droit passé autour de la corde. Le ronflement du groupe électrogène de l’Elie-Monnier s’entend sous l’eau de manière obsédante à mesure que je m’enfonce. Nous sommes en juillet, en plein midi, mais la lumière s’affaiblit vite. J’arrive à la zone crépusculaire, avec sous les yeux, pour tout spectacle, la ligne blanche de la corde et le défilé monotone des planchettes de contrôle.

À soixante-cinq mètres, je sens dans la bouche le goût métallique de l’azote comprimé et subitement j’éprouve une sévère attaque d’ivresse des profondeurs. De ma main droite je serre la corde et je m’arrête.



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