Le miel et l'amertume by Tahar Ben Jelloun

Le miel et l'amertume by Tahar Ben Jelloun

Auteur:Tahar Ben Jelloun [Ben Jelloun, Tahar]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Éditions Gallimard
Publié: 2021-01-07T00:00:00+00:00


Je fais le ménage, je lave par terre, je passe l’aspirateur qui tombe souvent en panne, je fais les courses, je ramène toujours les tickets de caisse. Madame contrôle tout ; pas un centime ne doit manquer ; elle fait souvent des commentaires sur le prix des choses ; elle dit : « Le prix des tomates a encore augmenté ; le poisson est hors de prix ; le poulet reste abordable, mais il est plein d’hormones. » Monsieur, lui, ne contrôle rien. C’est un peu comme chez moi au pays. Ce sont les femmes qui dominent les hommes et non l’inverse. On ne le dit pas, mais mon père obéissait toujours à ma mère. Elle le laissait faire croire à ses amis qu’il dirigeait la maison. Je ne savais pas qu’au Maroc les femmes étaient si puissantes. En tout cas Madame est forte. Elle dit tout le temps qu’elle est malade. Je ne sais pas de quoi elle souffre. Le monsieur, lui, est très fatigué. Il me rappelle mon grand-père quand il ne pouvait plus se lever. Pourtant, il a encore de l’énergie pour lire et prendre des notes. J’aimerais lui demander de me prêter un de ses livres, en arabe ou en français, peu m’importe.

Hier, Madame m’a demandé de passer l’aspirateur dans les salons et les chambres en haut. Je n’y avais jamais mis les pieds, je ne soupçonnais même pas leur existence. Le salon, sombre, sent l’humidité et le renfermé. J’ai voulu aérer mais Madame s’est mise en colère, « non, n’ouvre surtout pas, les voisins risquent de voir notre salon ». Je ne comprends pas pourquoi cette partie de la maison est fermée. Il doit y avoir un secret. Je ne dis rien. Je n’ai le droit de rien dire. J’obéis et je me contente de faire ce qu’elle me demande. On n’a pas parlé de salaire. J’attends la fin du mois pour lui en toucher un mot. Je me demande comment elle réagira. Chez moi, en Mauritanie, on les aurait appelés « les bourgeois », des gens apparemment aisés, mais qui ont un rapport étrange à l’argent.

J’ai demandé si je pouvais écouter la radio qui est dans la cuisine. Elle m’a dit : « Il te faut des écouteurs ; on ne doit pas aimer les mêmes musiques. » Finalement, elle m’a donné un petit baladeur avec des écouteurs. Je passe la nuit à écouter de la musique égyptienne ; j’adore cette musique, elle me fait voyager, me ramène chez moi même si je ne veux plus y retourner. Je me fais tout petit. J’ai toujours peur de déranger. Une après-midi, Monsieur, une fois que sa femme était sortie, m’a demandé de lui raconter mon histoire. J’étais gêné ; je ne savais pas par quoi commencer. Il m’a mis à l’aise en me disant qu’il s’intéressait au sort des immigrés et des exilés.

— Pourquoi as-tu quitté ton pays ?

— Je pourrais vous dire parce qu’il n’y avait pas de travail, mais la vérité, ce que j’ai quitté, ce que j’ai fui, c’est le racisme des Maures envers les Noirs.



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