Le fardeau tranquille des choses by Ruth Ozeki

Auteur:Ruth Ozeki [Ozeki, Ruth]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Littérature américaine
ISBN: 9782714499332
Google: fyKyEAAAQBAJ
Éditeur: Belfond
Publié: 2023-04-05T21:00:00+00:00

Je suis bibliothécaire

Quel est votre superpouvoir ?

Elle sentit son contenu. Seulement du thé noir.

« Bien », déclara-t-elle.

Le vieil homme haussa les épaules comme pour dire : Tu croyais quoi ? L’Aleph retourna jusqu’au canapé où se trouvait encore Benny, qui scrutait ses moindres gestes, et posa le bout de son index au milieu de son front.

« Repose-toi », lui dit-elle en le tapotant du doigt.

Il ferma les yeux. Il se sentait tout à coup très, très fatigué.

39

Une grosse lune ronde s’était levée à l’est, baignant toute la ruelle de sa faible lumière argentée. Elle regarda d’un côté, puis de l’autre, mais les alentours étaient déserts. De quel côté était-il parti ? Peut-être qu’en marchant, elle tomberait sur quelqu’un qui l’aurait croisé. Cette idée la terrifia. Avec tous les articles qu’elle lisait dans les médias, elle savait quel genre d’individus étaient susceptibles de traîner dehors, dans une ruelle, la nuit. Elle savait ce que ces individus faisaient.

Benny. Elle devait le retrouver. Elle devait le retrouver avant que quelque chose de grave ne lui arrive. Elle n’aurait jamais dû attendre autant. Pourquoi n’était-elle pas partie immédiatement à sa poursuite ? Elle resserra son imperméable autour d’elle et se mit en marche, sous la lune. Elle passait devant le quai de chargement de l’Eternal Happiness Printing Company quand elle entendit un bruit en provenance de la benne de la brocante et aperçut quelque chose dans l’ombre. Deux silhouettes émergèrent du rond de lumière projeté par le réverbère, deux femmes. Annabelle se détendit légèrement. Elles étaient grandes, minces, portaient une perruque rose pour l’une, blond platine pour l’autre, le même modèle de débardeur moulant au-dessus d’une microjupe au motif, semblait-il, du drapeau américain. Elles restèrent plantées là quelques instants, pour retoucher leur maquillage.

« Excusez-moi ! » cria Annabelle en courant vers elles. Quand les deux femmes se retournèrent à son approche, elle se rendit compte de son erreur. « Oh, je suis désolée ! »

Celle à la perruque platine baissa les yeux vers elle, l’air méfiant.

« Qu’est-ce qu’il y a, ma belle ? fit sa voix grave. Qu’est-ce que tu veux ?

— Oh, non, ce n’est pas… répondit Annabelle en rougissant. Je ne viens pas pour ça… »

Elle resta plantée là devant leurs jambes interminables, leurs perruques, leurs lèvres rouge vif et le morceau de tissu microscopique qui leur servait de jupe.

« Je cherche un garçon », expliqua-t-elle.

Elle reçut en réponse un long regard interloqué. Les deux femmes considérèrent son gros pantalon de jogging rose, son imperméable trop grand, puis, d’un seul coup, tombèrent dans les bras l’une de l’autre, écroulées de rire.

« Oh, ma belle, soupira la perruque rose en se tamponnant les yeux. Si c’est ça que tu recherches, je te souhaite bonne chance ! »

Elles envoyèrent un baiser à Annabelle qui les regarda s’éloigner bras dessus, bras dessous en vacillant sur leurs talons, roulant des fesses à l’unisson, rayures rouges et blanches d’un côté, fond bleu à étoiles de l’autre.

Annabelle partit dans la direction opposée. Elle suivait la lune, si claire qu’elle projetait devant elle une ombre illusoire, mince et élancée.

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