L'art de fuir by Alice Goffman

Auteur:Alice Goffman [Goffman, Alice]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Histoire
ISBN: 9782021338478
Éditeur: Le Seuil
Publié: 2019-11-28T10:02:38+00:00

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Le soir même, Reggie mit à l’épreuve les talents d’acteur de Jevon : il quitta la maison autour de 19 heures et rentra vers 2 heures du matin. Jevon lui dit que tout s’était passé comme prévu : l’agent avait téléphoné, demandé dans quelle maison de transition il avait été envoyé, quel était le nom de la mère de sa première copine, et à quel endroit du corps un gardien de prison l’avait blessé quand Reggie était adolescent. Jevon avait répondu correctement à toutes les questions.

C’est ainsi que Jevon en fit un commerce ; au début, il demandait 5 dollars par soir à Reggie mais, sur l’insistance de sa mère, il passa à 5 dollars de l’heure. Même si Reggie n’appréciait pas trop cette augmentation, il admettait que personne n’imitait aussi bien sa voix, qui avait la sonorité nasale du jeune rappeur Biggie Smalls. Quand Reggie commença à accumuler des retards de paiement, Jevon offrit ses services à son oncle, puis à un voisin, tous deux en liberté conditionnelle, qui cherchaient un remplaçant pour répondre aux appels de leur agent.

Répondre à des appels de couvre-feu exigeait davantage que des talents d’imitateur : la ponctualité, l’assurance, une bonne mémoire, et la capacité d’imaginer comment un détenu venant d’être libéré après une longue peine se comporte avec son agent. Jevon jouait ce rôle comme un acteur professionnel et semblait y prendre beaucoup de plaisir. Dans un petit carnet, il notait le détail de ses conversations avec l’agent, afin que l’homme en question sache où il en était dans ses rapports avec lui.

Avec le temps, Jevon se constitua une bonne clientèle. Pendant ses années de seconde et de première, je l’ai vu empocher jusqu’à une centaine de dollars par semaine. Mais à l’approche de la remise des diplômes, il se lassa de passer ses soirées et ses nuits dans les maisons des uns et des autres. Après une tentative vaine de rediriger les appels sur son téléphone portable, et une autre où il essaya de former un de ses amis à ce job, il arrêta l’« arnaque téléphonique » et trouva un emploi d’agent de sécurité dans un centre commercial.

J’ai rencontré un certain nombre de jeunes qui, comme Jevon, se faisaient un peu d’argent en fournissant des biens et des services à des amis et à des amis d’amis qui étaient sous contrôle judiciaire. L’un de ces services, et non des moindres, consistait à faire passer en contrebande de l’argent et de la drogue à ceux qui étaient les plus contraints : les détenus.

Shonda, une jeune femme de vingt-quatre ans, avait fait ses débuts en rendant service à un proche.

« Tu dois enrouler le billet autour de la beuh, m’expliquait-elle tandis que nous étions assises à la table ronde de la cuisine chez sa grand-mère. Comme ça, l’herbe est bien compressée et tu couvres l’odeur.

– Je vois.

– Et il faut le faire un jour ou deux à l’avance, parce que maintenant, il y a des détecteurs pour les mains1. »

Shonda avait commencé

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