Laisse pleurer la pluie sur tes yeux by Valère Valérie

Auteur:Valère Valérie [Valère Valérie]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Gay romance, Adolescence, Amour
Éditeur: Christian Bourgeois Editeur
Publié: 1987-09-06T16:00:00+00:00

Ma nouvelle errance commence ce soir. Désormais, je n’ai plus de but à rechercher, plus d’images à trouver, plus de personnages à observer. J’avance lentement au travers de cette matière épaisse et sombre, j’écarte de mon chemin les doutes et les appréhensions, les ombres de l’échec et celles du désespoir. Mon corps n’a plus froid car le vide intérieur qui m’habitait a disparu, mon corps m’obéit et me réconforte de sa présence. Maintenant seulement je n’ai plus à feindre de l’ignorer. Enfin, je ne suis plus cet être déchiré, écartelé entre son âme et son corps, je suis un, uni, tout entier tendu vers toi, vers ton souvenir et ton reflet. Tu me guides à travers la nuit de ma renaissance, tu me montres du doigt la route que je dois suivre pour atteindre ta jeunesse et ta beauté. Tu es partout autour de moi et partout en moi ou peut-être ai-je retrouvé à travers toi mon véritable être. Quelle importance ?

Boulevard Montparnasse. Les lumières, les regards méfiants et hâbleurs des passants ne m’agressent plus. Désormais le monde est impuissant devant mon assurance et mes espoirs. Non, ce n’est pas de l’indifférence mais une sorte de sourire ironique et méprisant qui se dessine sur mes lèvres et m’empêche de saisir ce qu’il tente de m’imposer. Je longe les trottoirs, m’arrête devant les vitrines et au lieu de ressentir cette amertume de ceux qui ne peuvent que rêver devant des objets trop beaux, c’est un défi railleur qui m’envahit et puis aussi la satisfaction de savoir que je n’ai plus besoin de ces choses trop matérielles pour combler ma vie. Les boutiques sont des mensonges, elles vous promettent un bonheur dont elles ne connaissent rien, elles vous promettent un rêve inaccessible. C’est à l’intérieur de soi qu’il faut les rechercher ces messages oniriques, c’est à l’intérieur qu’ils vivent les emballages dont se servent les veilleurs du bonheur.

J’ai lu méticuleusement tous les menus des restaurants du boulevard et j’ai choisi le moins cher. Désormais, l’argent doit être la condition de notre rêve à deux, désormais, je ne ressentirai plus cette brûlure intolérable en le tenant entre mes doigts.

Le restaurant est minuscule et enfumé. Je vais m’asseoir à une table du fond, grisé par l’odeur alléchante des viandes cuites et torturé par une faim trop longtemps ignorée. Un vieil homme dîne en lisant un livre, il a le visage solitaire et triste de ceux qui parce que les autres les abandonnent se morfondent dans leur souffrance intérieure. Troublé, je l’observe un long moment. Sans le savoir, il me dévoile l’image de celui que j’ai été.

Je suis assis, là, les mains posées à plat sur la nappe rouge, les yeux embués et les pensées fatiguées. J’observe les murs décorés de reproductions et les serveurs qui fument leur cigarette en discutant derrière le comptoir. Soudain, tout disparaît et je redeviens ce Yan paumé, ce Yan à la recherche de son idéal, ce Yan sans vie et sans énergie qui toujours crie dans le silence des paroles incomprises.

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